Dernier top mensuel avant bilan de l’année, dernière occasion d’explorer d’autres horizons avant de se replonger dans tous ces albums qui nous ont marqués et que l’on peinera comme toujours à départager, surtout pour les amateurs de musiques transversales à la fête de janvier à décembre avec des crus comme celui-ci où se côtoient post-rock engagé, metal ambitieux, noise en liberté, drone évocateur, électro viciée, free jazz belliqueux, americana de chevet et on en passe. En vous souhaitant à tous de belles découvertes !


1. Year Of No Light - Tocsin

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"Dès ses débuts ( Nord , 2006), bien qu’avec un line-up différent, Year Of No Light impressionnait, entité bordelaise frayant dans des marécages post-hardcore teintées de sludge. Depuis, le groupe à perdu sa voix et développé un autre langage lui permettant de communiquer avec ses contemporains et d’épaissir son propos. Aujourd’hui, YONL ne garde que le post de son étiquette originelle : de plus en plus massif mais aussi de plus en plus introspectif.
Dans la continuité dAusserwelt et de Vampyr, Tocsin s’en démarque pourtant. Du premier, il reprend les caractéristiques formelles tout en noircissant plus encore le propos. Du second, il conserve le goût du cinématographique et de l’errance mais en les resserrant.

Dès l’entame, l’album surprend par son amplitude épique et ses riffs massue à peine contrebalancés par un clavier fantomatique. Conservant plus ou moins le même climax, Géhenne se fait tout de même plus véloce et les batteries disloquent le morceau, le faisant voler en éclats quand les guitares tentent de maintenir à grand peine son unité. Rapide, massif et en opposition complète avec le bien nommé Désolation qui le suit immédiatement : sans que l’on s’en rende bien compte, Year Of No Light balance métal, doom et sludge par la fenêtre et revêt un masque abstrait et introspectif. Stella Rectrix et Alamüt amalgament quant à eux les trois morceaux précédents le temps de pièces tout à la fois épiques et vaporeuses, massives et aérées.
En rendant plus saillants les accents doom et métal de son ossature principale, en incurvant légèrement ses trajectoires rectilignes, en rentrant toujours un peu plus en lui-même, Year Of No Light atteint tout à la fois l’épure et la complexité : Tocsin est ainsi une nouvelle réussite d’un groupe qui, jusque là, n’aura connu que ça."


(leoluce)


2. Zerfallmensch - Lotcrashers

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"Alternant combustions saturées, bruitisme en liberté et stridences droguées, cette première collaboration largement improvisée du patron d’Ohm Resistance Kurt Gluck (aka Submerged) avec l’artilleur harsh haZMat sonne comme la BO d’une dépressurisation mentale, cauchemar distordu d’un esprit qui tenterait d’échapper au chaos de l’existence dans les psychotropes de synthèse pour ne parvenir qu’à alimenter ses propres névroses jusqu’à l’implosion.

Circuit bending, samples radio violentés et autres instruments électroniques détournés de leur usage premier se mêlent à la concrétude voilée des field recordings et au psychédélisme nébuleux des effets pour nous perdre dans ce labyrinthe d’oscillations noise et de transmissions schizophrènes, tempête sous un crâne soufflant un bon millier de neurones à chaque rafale crépitante et culminant sur le déluge de bruit blanc et de synthés modulés du massif et pourtant étrangement introspectif Dying Current."


(Rabbit)


3. Ontervjabbit - 414

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"Mêlant vortex harsh, synthés presque planants, modulations analogiques et pulsations minimalistes, 414 nous immerge dans un véritable film d’anticipation sans images, apocalypse post-numérique que Neven M. Agalma (Dodecahedragraph) et Domen Učakar (Neon Spektra) imaginent peuplée de matrices en révolte corrodant leur prison de silice (Cyto Ratio) pour contaminer la réalité (Undulipodium). D’emblée, les averses d’échardes digitales, orages larsenisants et autres déluges de bruit blanc apparaissent plus parcimonieux qu’à l’accoutumée, au sein de morceaux dont les parts de composition et d’improvisation s’équilibrent à la perfection.

Intelligences artificielles soudain grisées de liberté (Summer Peach Girl), les machines élèvent à leur tour des idoles aux dieux du 1 et du 0, prise de pouvoir ésotérique dans un chaos d’impulsions électriques et de fantasmes opiacés. La drogue est synthétique mais ses effets d’euphorie (Hume), de rage (Lauren) et de mélancolie (Blade Runes) sont bien réels et se succèdent jusqu’au vertige. Une schizophrénie qui s’incarne bientôt en voix de la discorde au cœur même des micro-circuits, se muant en plainte convulsive (Discordia) avant que le système entier n’en vienne à perdre les pédales (Crisp Ursa Minor) pour finalement s’effondrer sur lui-même dans un fracas de matière métallique karsherisée à l’acide sulfurique (Outro)."


(Rabbit


4. Painkiller - The Prophecy

Ce nouvel opus fantastique de Painkiller, le power trio abrasif et délirant de John Zorn et Bill Laswell, vient nous dégourdir les oreilles non sans fracas après plus de 10 ans d’absence. Il a été enregistré lors de deux concerts en 2004-2005 à Varsovie et Berlin et s’inscrit dans la continuité de Talisman qui avait été enregistré à Nagoya en 1994 et publié en 2002.
Alors que Talisman présentait une belle plage de 30 minutes d’improvisations alternant passages grindcore, dub et free jazz accompagnée de deux morceaux plus courts, The Prophecy propose un morceau fleuve de plus d’une heure dans le même esprit avec des passages encore plus doux et ambient qui alternent avec de beaux moments de folie furieuse, accompagné également de deux morceaux plus courts et plus violents en Prelude et en Postlude. Le line-up change également puisque Yoshida Tatsuya (le batteur fou de Ruins) vient remplacer Mick Harris sans que l’on perde ni en puissance ni en finesse de jeu. Il s’agit à nouveau d’un grand disque.

(Sb)


5. SIMM - Visitor

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"Ressuscité d’un hiatus de 16 ans, Eraldo Bernocchi débarque chez Ohm Resistance avec le dub doomesque aux ambiances horrifiques de ce projet solo rescapé des 90s. Avis aux nostalgiques de Scorn (qui avait d’ailleurs sorti à l’époque sur son propre label Possible les albums sans suite de SIMM et de son jumeau Interceptor), c’est ce même contraste entre basses massives et nappes de matière noire aux effluves insidieux que nous propose l’Italien.

Entre ce Visitor orné d’un écorché cherchant la rédemption et les impros harsh noise stridentes et psychotropes du Lotcrashers de Zerfallmensch cité plus haut, ce cru de novembre du label new-yorkais tranche radicalement avec la drum’n’bass vicieuse qu’on lui associe parfois trop facilement. Vicieux, ce Visitor l’est néanmoins avec ses distos futuristes et ses beats downtempo dont l’esthétique dub voire presque trip-hop cache en réalité un charnier post-indus en décomposition."


(Rabbit)


6. Kingbastard - Subspace

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"Aux manettes de ce fantasme d’aventures stellaires à nul autre pareil, l’Anglais Chris Weeks dont l’odyssée spatiale claustro du récent The Lost Cosmonaut trouve ici le parfait contrepied à ses drones austères dans un imaginaire tout aussi ténébreux mais plus éclaté, kaléidoscope de matière noire et de poussières de rêve, aux confins de l’ambient techno, de l’électronica et de la kosmische musik.

Vortex de fumerolles vénusiennes (Bok Globules), averse d’antiprotons éclatant en une myriade de glitchs (Protostar), synthés irisés et déclinés en aurores boréales (Binary), fréquences lancinantes d’un appel de l’espace émis par quelque machinerie proto-dubstep de la constellation d’Orion (NGC 6369), séismes en suspension d’une géante rouge en plein effondrement (Supernova - Remnants), le Subspace de notre chevaucheur de trous de vers tient autant du fantasme hédoniste (Wormhole Rider) que de la fièvre de cabine (Manic Decompression).
Le manifeste atmosphérique et libertaire d’un créateur de formes qui ne soufre aucune étiquette."


(Rabbit)


7. Oiseaux-Tempête - Oiseaux-Tempête

Trio parisien constitué par deux gratteux tirés de Farewell Poetry et du Réveil des Tropiques, et un percussionniste mercenaire (accompagnateur de Beach House, Rain Machine ou encore Au Revoir Simone), Oiseaux-Tempête joue un post-rock vaporeux et engagé, qui se laisse le temps nécessaire pour progresser jusqu’à son acmé, s’étendant sur un lit feutré de roulements de balais (à la sauce mayonnaise), d’une basse ronde et obstinée, et de nappes de guitare au long delay tantôt mélancolique, tantôt criarde et dissonante.


Une musique pour le moins « cinématographique » qui s’accompagne de visuels (sur album comme en live) dénonçant crûment la misère imposée au peuple grec et l’émergence d’une insurrection qui viendra peut-être.
Ce son, ces images (noir et blanc urbain et granuleux), cette démarche politique... cet Oiseaux-Tempête nous rappelle fortement ses homologues montréalais, GYBE en tête, la dimension orchestrale en moins. Un trio à suivre.

(Le Crapaud)


7. The Melvins - Los Tres Cabrones

Les Melvins sont décidément d’une humeur nostalgique ces derniers temps. Après un EP sorti en août 2012, Melvins 1983, qui revenait sur leurs débuts, et un album de reprises en hommage aux groupes qui leur ont donné l’envie de s’y mettre, ainsi qu’une série de concerts où ils jouaient en intégralité les albums de leur période faste, la bande de Buzz Osborne fait un nouveau pas en arrière, avec Los Tres Cabrones qui, comme son nom l’indique, rassemble "trois vieux copains" (traduction approximative).


Ce dix-neuvième album où l’on retrouve quelques titres déjà parus sur Melvins 1983, revient sur la formation originelle du groupe, du moins sur son batteur primitif, Mike Dillard, tandis que Dale Crover tient exceptionnellement la basse. Il s’agît d’un cru correct mais pas exceptionnel qui a l’intérêt de rappeler les intentions intactes du groupe désormais trentenaire : produire un blues heavy, animé par une mentalité punk, donnant ainsi au stoner un visage clownesque et original. C’est d’ailleurs la fantaisie du trio qui fait qu’on se laisse séduire par cet album rétro : les Tie My Pecker to a Tree, 99 Bottles et In the Army Now sont vraiment poilants. Mention spécial pour le "beer, beer, beer, beer..." du second, qui a trouvé les mots pour énoncer cette vérité universelle...

(Le Crapaud)


9. Oikos - Vigilia

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"Des marécages digitaux du fuzzy Ecotono aux fréquences orageuses tout aussi poisseuses quoique plus impressionnistes de Solve Et Coagvla sorti en début d’année chez Land Of Decay (label qui pour le coup portait particulièrement bien son nom), les Espagnols d’Oikos faisaient dans le massif et le délicat à la fois. C’est pourtant ce dernier aspect qui prime sur Vigilia, disque aride et insidieux qui construit patiemment ses panoramas d’infini.

La longue progression pelée du morceau-titre donne le ton, élégie d’une guitare à nu dont l’americana primitiviste frottée au bottleneck se mue en déversoir sursaturé d’un doom larvé. Transition éthérée flottant comme un mirage au bout d’une route sans fin, Perdition (Austral Road) annonce ensuite les limbes oniriques du fabuleux Trails End, désert de sel baigné de lumière blanche et d’espoirs délavés... et voilà c’est fini. Un peu court ? Même pas, car sous la concision ce Vigilia a bien l’ampleur de ces traînées d’étoiles de la pochette, contemplées depuis la serrure d’une poterne d’éternité."


(Rabbit)


9. Barnett + Coloccia - Retrieval

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"Trop souvent éclipsée par le charisme de son compère de Mamiffer et House of Low House (et accessoirement compagnon à la ville) Aaron Turner, Faith Coloccia se révèle l’égal d’un Justin Broadrick dans l’abstraction crépusculaire sur ce Retrieval dont les fumigènes post-indus flirtent avec les cauchemars urbains d’anticipation de Council Estate Electronics ou pourquoi pas John Carpenter, mais non sans une bonne dose de spleen voire même d’introspection.

Si la tension latente des pulsations cardiaques et des synthés vintage aux suintements ténébreux doit beaucoup à Alex Barnett, préposé aux machines tandis que Faith manipule les fréquences radio et autres enregistrements acoustiques sur cassette, c’est bien cette dernière qui marque de son empreinte l’ambivalence d’un disque suspendu entre la froideur des cités futuristes abandonnées par l’homme et la mélancolie des spectres qui hantent ce dédale de leurs plaintes désincarnées (en réalité les chœurs modifiés de l’Américaine), entre la menace larvée d’une assise rythmique parfois étouffante (cf. Repeating Pit et son flot de saturations hachurées) et la poésie d’un imaginaire déchu dont l’aura persiste aux abords de ce cimetière de béton."


(Rabbit)


11. Howe Gelb - The Coincidentalist

< avis express >

"En trente ans de carrière, en solo ou avec Giant Sand, Howe Gelb nous a offert l’une des plus belles discographies qui existent, y compris via la sortie en catimini il y a quelques mois de la compilation Dust Bowl qui nous avait plus qu’agréablement enchantés par ses accents DIY minimalistes. Dans la lignée de ce prédécesseur, et à l’image de l’introductif Vortexas et sa superbe collaboration avec Bonnie ’Prince’ Billy, The Coincidentalist augure une pole position dans les incontournables de l’artiste.
En plus du casting inspiré et réduit à l’essentiel (M. Ward, Steve Shelley, KT Tunstall, …) et loin des épanchements passionnés de Tucson, sorti l’année dernière, The Coincidentalist revient aux fondamentaux d’une americana intime et décalée. Le chanteur, aux accents traînants presque parlés, tour à tour rauques et doux, égrène les titres comme autant de gemmes sur un bijou Navajo, avec la pudeur et la retenue retrouvées de ses premiers enregistrements."


(nono)

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