Jouska n’est pas tout à fait un ovni, puisqu’il permet ici et là à l’auditeur de se retrouver en terrain connu. Pour autant, les similitudes avec d’éventuels aînés sont trop vagues pour que ce disque puisse être défini dans un registre musical précis.
Le premier long-format de Gentle Party dépasse les catégories pré-établies. La chronique musicale ayant toutefois pour principe de donner une idée de ce à quoi l’auditeur sera confronté lorsqu’il écoutera le disque, il convient néanmoins de se risquer à l’étiquetage, quitte à susciter une insatisfaction évidente tant celui-ci ne pourra qu’être imprécis.
Quatuor canadien basé à Vancouver, Gentle Party s’articule autour des trois instruments à cordes que sont le violon de Meredith Bates, le violoncelle de Shanto Acharia (également membre du trio post-rock Limbs Of The Stars, auteur d’un très convaincant Heartwarmongering en 2012) et la harpe d’Elisa Thorn, ceux-ci venant se draper autour de la voix de Jessicka. Les mélopées lyriques de cette dernière hantent d’ailleurs le Ghost Writer initial tout en côtoyant des cordes battues ou frottées que dissimulent parfois des captations sonores menaçantes, presque animales.
Dès le premier titre, la tonalité est donnée. Le groupe revendique une chamber pop, mais ce qu’il propose va bien au-delà. Une trame narrative existe, et le contenu est effectivement trop accessible pour qu’une filiation avec Valgeir Sigurðsson puisse être avancée (bien qu’un titre comme Of Light évolue dans ce registre), et l’aspect arythmique ne rend pas convaincante une éventuelle comparaison avec Trashcan Sinatras.
Même si elles sont souvent dégradées dans des délires expérimentaux que l’auditeur rejoint rapidement, les mélodies existent sur Jouska. A défaut de trouver un point de comparaison plus adapté, c’est peut-être de Lidwine que se rapprochent le plus les Canadiens sur les morceaux les plus mélodiques, tandis que les passages plus atmosphériques évoquent l’univers de Julia Kent. Il reste toutefois beaucoup de place pour la diversité.
Du spectre de Juana Molina à une emphase proche de celle de Mercury Rev en passant par des pincements de cordes qui rappellent les expérimentations d’Owen Pallett sur l’EP Swedish Love Story (Trophies), Gentle Party ne reste jamais fixé sur ses appuis, se permettant même d’évoluer dans un registre néoclassique porté par des cordes oppressantes qui s’évanouissent et réapparaissent par surprise, lequel trouverait tout à fait sa place au sein du catalogue d’Erased Tapes (The Door There is Devastation).
Une main de fer dans un gant de velours. Ou une main fragile protégée par une armure. Gentle Party jongle en tout cas avec cette gracilité qui trouve sa place et perce l’atmosphère oppressante de ce premier long-format aussi ambitieux qu’abouti. Ce n’est sans doute pas un hasard s’il a été dévoilé le dernier jour de l’été, quelque chose de l’ordre d’une beauté évanescente semblant émerger en permanence.