Même avec un gros tiers de morceaux déjà connus (des services de police ?) via les versions plus erratiques et souvent même résolument lo-fi disséminées sur les précédents EPs du duo, ce premier long format de nos camarades du marais de quat’sous emporte tout, la faute notamment à une production - via des logiciels libres uniquement, la classe - qui rend enfin justice à l’énergie foutraque et au groove massif sur lequel Le Crapaud et la Morue, désormais quatuor, recentrent leur musique jusqu’ici volontiers nébuleuse et atmosphérique.

Ainsi en est-il dès l’introductif Electric Porc Epic dont les 5 minutes kraut et droguées émaillées de samples abstraits de la version "Electrique" présente sur lEP 3 laissent place ici à une entame d’album étonnamment incisive et post-rock, les guitares empilant leurs murs de trémolos vibrants tandis que la batterie claque, nettement plus claire et frontale que sur l’original où elle demeurait floue, très étouffée, au second plan. On le comprend d’emblée, à part peut-être en ouverture de la cavalcade heavy rock Cigares Roses, plus vraiment de place ici pour l’ambient fantasmagorique qui entrecoupait les saillies électriques des débuts, mais on ne peut pas tout avoir, et se focaliser sur un tout cohérent c’est bien aussi.

Revenu de lEP 1 - Programme dont on disait déjà le plus grand bien il y a 5 ans dans cette même rubrique, En Nage conserve son petit côté dub ambiancé et mélangeur en intro et donne plus d’impact au chant du Crapaud, qui reste à l’arrière-plan mais gagne en incandescence et interagit mieux dans le mix avec des guitares plus acérées. Quant aux Mercenaires, le Live - Partie de Tennie ouvertement capté à l’arrache en 2015 ne laissait qu’entrevoir derrière les circonvolutions psyché-math-rock d’une compo martiale et libertaire la puissance chorale et le groove délicieusement alambiqué, pas loin d’un Tortoise par moments, de la flamboyante version studio offerte ici, où le chant révolté de Romain explose enfin à la face de l’auditeur, tout comme cette charmante digression free noise bien Mr.Bunglesque aux deux-tiers de morceau. Y a pas à dire, c’est du costaud.

Pour le reste, que du neuf et du bon, des morceaux à tiroirs surtout, du rock syncopé à gros riffs d’un Pénélope en trois mouvements qui mue en slowcore bucolique, au piano-rock tribal des Compagnons Paveurs au spleen d’abord très chansonnier dont les lamentations flirtant avec l’absurde se frottent sur leurs refrains beuglants à des tsunamis d’électricité beaucoup plus abrasifs, en passant par Du Retour, sorte de western stoner aux entournures dont la coda enflammée vous en mettra plein les tympans pour pas un rond (quoique, même à prix libre, c’est pas interdit de soutenir, la musique n’en sera que meilleure). Quant au cachet dada cher à la formation, c’est le Festival de la Force qui assure le cachou avec sa fête foraine de lignes d’accords alambiqués virant en pleine représentation de monstres de foire à la marche sinistre, avant d’en terminer sur une dernière pirouette à coups de sonnailles des alpages, de distorsions surréalistes et de riffs saturés.

Une belle tranche de came à dinguerie, en somme !

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