1. Alpinist
2. Leak The Civilians
3. Thousands Of Straws
4. Out Of Nothing
5. Along The Sun
6. Under The Mud
7. Like King & Child
8. By Accident

Sortie le vendredi 11 octobre 2019

Partagé entre Brest et Rennes, l’intense Mnemotechnic sort son troisième album, Blinkers, intense lui aussi.

Bizarrement, la pochette de Blinkers me rappelle celle de Siamois, dernier album en date de Calva. Le côté bleuté, l’enchevêtrement, plutôt câblé chez Mnemotechnic. Pour le reste, c’est à peu près le seul point commun entre les deux formations. Ah si, le même label également, À Tant Rêver Du Roi. Et Kerviniou Recordz en plus pour Blinkers. Bref, avant même d’avoir écouté le disque, le cerveau se fait avoir alors qu’on ne lui a rien demandé. Il en sera de même pour la suite. Il catégorise, se plante, efface et recommence : post-punk ? Euh, non. Noise-rock alors ? Ah, non plus. Math-rock peut-être ? Non. Indus ? Oui... mais non. Ce disque, c’est à la fois tout ça et rien de tout ça, plus une pincée de post-hardcore et des fragments de plein d’autres choses encore.
C’était déjà le cas avec Weapons (2017) mais Blinkers exacerbe l’effacement consciencieux des frontières et foule aux pieds encore plus de territoires. Préserve ses mélodies. Accentue son côté sombre. Et se montre salement implacable. Enfin, Mnemotechnic l’a toujours été mais là, il l’est encore plus.
La/les voix y sont pour beaucoup, suintent souvent la rage contenue, prêtes à vous sauter à la gueule sans le faire vraiment (By Accident en toute fin). À d’autres moments, c’est un poil plus lyrique (Out Of Nothing). À d’autres moments encore, c’est très déformé. Ou alors complètement fragile (Along The Sun). L’altérité l’/les habite. Comme elle habite les instruments. Arnaud Kermarrec-Tortorici (chant, guitare), Xavier Guillaumin (basse) et Anthony-Mehdi Affari (batterie) s’en donnent à cœur joie et explorent toutes les possibilités de leur configuration. Tour à tour tranchant et rampant, résigné et combatif, chimique et naturel, carré et perché, le trio change constamment de masque, mélange à qui mieux mieux, amalgame, triture, découpe, recolle, extrapole, emprunte la voie principale pour mieux aller fureter sur les bas-côtés et avec tout ça, garde intacte sa grande cohérence alors qu’il était si facile dans ces conditions de ne ressembler à rien.

Dès l’entame, on mesure le pas en avant : une basse à décorner les bœufs, une voix qui s’étrangle et une guitare bégayante et virulente, altérée, à la Daughters. En-dessous, la batterie est à la fois élastique et rigide. En presque six minutes, Blinkers enferme dans ses filets. Une vraie gageure quand on sait que cet Alpinist d’ouverture est vraiment un drôle de truc. Il avance droit devant mais se délite aussi et le rectiligne est vite abandonné pour des circonvolutions bizarroïdes jusqu’à ce que le trio, on ne sait comment, retombe sur ses pieds. Juste après, chaque morceau suit exactement les mêmes fractures, en plus rampant ou en plus rentre-dedans.
Les fractures. Voilà la grande affaire de Blinkers. Qu’elles soient mentales ou physiques, elles fournissent l’ossature principale autour de laquelle s’enroule tout le reste. Prenez Like King And Child planqué en pénultième position, on n’y entend que ça : toute la largeur du spectre est d’abord occupée puis tout se tait, la voix est trafiquée puis elle ne l’est plus, la répétition maladive est posée d’emblée puis s’évapore d’un coup et ainsi de suite. C’est plusieurs morceaux dans le morceau et va savoir, dès l’entame, où se situera la fin.
L’autre grand truc de Mnemotechnic, c’est le son. À la fois franc et massif et complètement trafiqué, presque artificiel voire froidement mécanique. Ça vrille de partout, ça balance son lot de banderilles aigües qui agissent comme mille stylets électriques sur l’encéphale mais c’est aussi tout le temps lisible. Thomas Poli aux manettes, depuis toujours aurait-on envie de dire, n’a pas son pareil pour capter et rendre intelligible toute la folie du trio.
Et surtout, ce qui extirpe Blinkers de la masse, c’est son écriture au cordeau qui lui permet de ménager des îlots de liberté pure dans la masse furieuse. Ça explore beaucoup, les morceaux peuvent même parfois donner l’impression de se construire au fur et à mesure qu’ils avancent - comme si rien n’était prémédité - mais en prenant un peu de hauteur, on discerne néanmoins et sans peine le dessein final. C’est qu’après dix années à polir les gemmes brutes, à persévérer dans sa singularité, Mnemotechnic maîtrise tous les aspects de sa musique et, de fait, impressionne : pas un moment en-dessous des autres, aucune baisse de régime et en trente petites minutes, tout est dit alors qu’on a vraiment l’impression que l’album dure au moins deux fois plus longtemps.

Très bel album, Blinkers enferme dans ses sonorités altérées, ses rythmiques foudroyantes et sa dislocation frontale des océans de larmes exaspérées. Son carburant est une essence trouble, glauque, tracassée, pur produit de notre époque et sans doute faut-il trouver là-dedans l’origine de l’adhésion profonde qu’on lui voue.



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