Trois volets composés de sept cartouches pour illustrer cette année 2021, cela fait vingt-et-un albums, sortis en physique ou en numérique, pour des labels affirmés ou autoproduits, et brassant des horizons variés. Après les EPs et sorties atypiques, voici la première moitié des quatorze longs-formats qui auront fait mon année 2021.


Top LPs


14. Raoul Vignal - Years In Marble


Depuis trois ans, les sorties du label de chevet qu’est Talitres peinaient à atteindre les sommets de la période faste 2015-2017. Mais il ne s’agissait que de reculer pour mieux sauter, l’écurie française - qui avait tout de même repéré l’excellent Feldup, auteur d’un superbe album l’an dernier - partageant en un mois la bagatelle de deux chefs-d’œuvre puisque, après Maxwell Farrington & Le SuperHomard, c’est Raoul Vignal qui vient écœurer la concurrence avec une indie folk aventureuse et mélangeuse. Voix chaude, guitare acoustique omniprésente, avec un attrait particulier pour le fingerstyle, rythmique aux accents jazzy et arrangements délicats suffisent pour créer un univers riche, varié, qui prend son temps pour faire monter la tension et parvient néanmoins, paradoxalement, à captiver immédiatement l’auditeur. Après un Oak Leaf plus anecdotique, Raoul Vignal renoue avec les cimes de The Silver Veil et partage quelques pépites (City Birds, Century Man, Silence ou By A Thread) qui ne devraient pas connaitre de date de péremption.

13. Jay-Jay Johanson - Rorschach Test


Rorschach Test est-il le meilleur album de Jay-Jay Johanson ? Non, pensez-vous. Le cas échéant, nous n’aurions pas attendu un mois pour en parler, le simple fait de se hisser au sommet d’une telle discographie ayant signifié qu’il s’agissait d’un chef-d’oeuvre absolu. Rorschach Test n’est donc pas cette hypothétique masterclass, mais il dispose de sérieux atouts pour séduire les amateurs de downtempo.

Du trip-hop renversant de Romeo, I Don’t Like You ou du sommet Why Wait Until Tomorrow, voire de Stalker, aux scintillements cinématographiques et jazzy de Vertigo ou Cheetah en passant par des ritournelles aérées au piano telles que Amen ou Andy Warhol’s Blood For Dracula, le Suédois offre un formidable aperçu de sa propre discographie, n’hésitant néanmoins pas à prendre quelques risques comme sur When Life Has Lost Its Meaning où l’on est surpris par une basse étonnamment ronde et des effets vocaux inhabituels chez Jay-Jay Johanson, heureusement maîtrisés si bien que les excès de l’époque Antenna apparaissent fort lointains.

Lorsque nous viendra, forcément, la brillante idée d’entamer un cycle Jay-Jay Johanson et de réécouter tous ses disques, sans doute ne débuterons-nous pas cette entreprise par Rorschach Test - et pour cause, il serait plus judicieux de commencer par le Whiskey introductif - mais nous trouverons assurément autant de stimulation que de plaisir dans l’écoute de ce disque personnel sur lequel le quinquagénaire juvénile donne, peut-être plus que jamais, le sentiment d’une assurance absolue.

12. The OST - Release


Et si les membres de Boards of Canada s’étaient mis en tête de tout reprendre à zéro, avec un nouvel alias et de manière indépendante ? Ce qui n’était à la base qu’une blague au sein de notre rédaction pourrait prendre davantage d’ampleur avec la sortie de Release, nouvel éloge de la contemplation bucolique où la pochette se fait l’écho des atmosphères rappelant, peut-être plus que jamais, celles développées par le désormais discret duo écossais.
The OST dispose probablement des mêmes machines et tisse des ambiances nappées d’éléments similaires, des rythmiques parfois étouffées aux synthétiseurs mélancoliques en passant par d’intrigants échanges enfantins. A l’écoute du Nothing Lasts Forever initial, l’idée qu’un sample de Boards of Canada ait été utilisé apparaît rapidement, sans que le mystère ne puisse être résolu. Cela reste peu probable malgré une similitude avec l’excellent 1969 paru sur le non moins indispensable Geogaddi en 2002.
Le spectre de Boards of Canada plane autant sur cet avis que sur Release mais The OST n’oublie pas d’ajouter un nécessaire supplément d’âme à son évident savoir-faire, si bien qu’il s’impose comme l’un des plus élégants héritiers des pionniers du label Warp.

11. Moby - Reprise


Très client de l’essentiel des sorties de Moby - à quelques ratages près - je n’étais pourtant pas très optimiste concernant ce Reprise revisitant certains titres de son répertoire en s’appuyant sur l’orchestre de Budapest. Il convient parfois de passer au-delà de certains a priori négatifs puisque ce disque évite les écueils souvent inhérents à l’exercice. Moby a en effet choisi de réenregistrer chacune des parties des morceaux sélectionnés, d’en modifier parfois la structure et de s’entourer de tiers, donc, pour les parties symphoniques mais également vocales voire rythmiques. Les invités, parfois trop emphatiques au niveau des voix, constituent le seul point de réserve du disque, mais ces reprises, à bien des occasions, surclassent la version originale, les cordes savoureuses de l’orchestre de Budapest participant à cette transcendance. Des sommets comme God Moving Over The Face Of The Waters ou Porcelain paraissent plus puissants et variés que les versions d’origine - est-ce parce que nous ne les avions pas écoutés depuis quelques années ? - tandis que des titres plus anecdotiques s’en trouvent métamorphosés, à l’instar d’un Lift Me Up bénéfiquement plus pondéré. Everything Was Beautiful and Nothing Hurt, paru il y a trois ans, rappelait au monde entier que Moby est encore capable de produire des disques fabuleux, sur la crête entre ambient, trip-hop et musique cinématographique. En voici une nouvelle preuve, Reprise étant bien plus qu’un exercice de réactualisation de vieux succès. A savourer.

10. Bremer McCoy - Natten (The Night)


Il est là l’album néoclassique - mais qui brasse bien au-delà, de l’ambient au jazz notamment - de l’année ! Découvert tardivement, ce disque du duo danois sorti en octobre dernier aura su s’imposer en une poignée d’écoutes comme un enregistrement essentiel, basé sur des mélodies instantanées au piano mêlées à des ambiances dub-jazz quasi-minérales à la production impeccable. Contemplatif et parfait pour la méditation, Natten (The Night) n’en est pas moins puissant. Assurément un disque plus facile à écouter qu’à décrire.

9. Beachy Head - s/t


De loin, nous pourrions penser qu’il s’agit d’un super-groupe, mais Beachy Head est essentiellement le projet de Christian Savill, guitariste de Slowdive, qui a partagé quelques compositions avec Ryan Graveface et Steve Clarke de The Soft Cavalry durant une pause musicale en 2019. Le trio a finalement invité Matt Duckworth des Flaming Lips à ajouter les percussions tandis que Rachel Goswell, acolyte de Savill du côté de Slowdive, mais également camarade de Clarke dans le projet The Soft Cavalry a ajouté quelques parties vocales. Voici pour le making off, mais Beachy Head est surtout un album d’un shoegaze évidemment aérien mais surtout percutant dans la lignée du dernier album homonyme de Slowdive paru en 2017. Les compositions sont solides et, si le ton ne surprendra pas, les détails polis au fil des échanges entre les musiciens achèvent d’en faire un enregistrement à la durée de vie prolongée. A écouter sans modération.

8. Eddie Palmer - Somewhere In My Dreams We Are Together Again


Entre ambient, ritournelles au piano et hymnes mélodieux sur fonds de synthés mélancoliques, Eddie Palmer propose avec Somewhere In My Dreams We Are Together Again un véritable album de deuil en hommage à son chat Fox. Extrêmement productif cette année encore, celui qui constitue la moitié de Cloudwarmer et Aries Death Cult et compose également sous l’alias Fields Ohio partage une tristesse authentique qui prend des contours plus lourds et écrasants qu’à l’accoutumée. Cathartique, cet enregistrement n’est jamais tout à fait plombé pour autant et aura été nécessaire à l’Américain avant de poursuivre l’exercice 2021 avec des productions plus directes et immédiates. Grand cru.

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