Slow down. Ce qui explique que le bilan de l’année 2023 sort fin janvier 2024. Et, sur le plan musical, tel pourrait être le credo de cette année 2023 me concernant. Ecouter moins, mais mieux. De fait, j’ai peiné à compiler énormément de sorties (16 LPs et 4 EPs) mais, à coup sûr, ce sont des disques qui m’ont marqué et que, pour la quasi-majorité, je continuerai régulièrement à réécouter. Moins nombreux, donc, mais avec un rapport plus intense. Et il y en a pour tous les goûts, du rock à guitares, des sonorités électroniques, des musiques instrumentales ou non, remplies de percussions ou quasiment dénuées de celles-ci, émanant d’artistes émergeants ou de valeurs sûres. Bref, ne cherchez pas la ligne conductrice, car au-delà de la passion, il n’y en a guère !




LPs :


16. The Brian Jonestown Massacre - The Future Is Your Past


Clairement pas le meilleur album du combo, mais la bande d’Anton Newcombe aura rythmé mon année 2023, si bien qu’il aurait été injuste de ne pas les nommer. D’abord, en produisant le meilleur concert auquel il m’ait été donné d’assister au mois d’août lors de La Route du Rock. Puis en générant une fascination rétroactive qui m’a occupé pendant de longs mois pour (re)découvrir leur discographie et l’excellent documentaire Dig ! qui suit leur ascension croisée avec celle des Dandy Warhols. La passion de l’Américain pour l’autodestruction n’a rien perdu de sa superbe vingt ans plus tard puisqu’il a encore sorti les poings (ou plutôt subi ceux de son guitariste) lors d’un concert plus triste signifiant la fin prématurée de la tournée en novembre à Melbourne. Quand au dernier disque du combo, s’il n’est pas le meilleur, il contient son lot de grands moments (Do Rainbows Have Ends ?, As The Carousel Swings et surtout The Mother of All Fuckers utilisé en clôture de sets), si bien que le goût de reviens-y est certain lorsque l’on apprécie le rock psychédélique teinté de shoegaze des Californiens.

RIYL : Spacemen 3, The Black Angels, The Limiñanas.


15. Danny Brown - Quaranta


"Dès qu’il s’agit d’une sortie Warp, même si c’est plus souvent la déception qui domine ces dernières années, la tentation est grande d’en écouter la teneur. Et comme ce nouvel album de Danny Brown, que je ne connaissais que de nom, semble avoir fait un petit buzz, j’ai écouté. Je dois bien avouer que, s’il ne s’agit pas de mon domaine de prédilection, j’ai été très agréablement surpris, à la fois par le contenu mais aussi par la cohérence avec le catalogue Warp. Si le rap vénéneux (Hanami) reste l’élément principal, il sera aisé d’apprécier les nappes synthétiques et cotonneuses qui se marient à de lourdes basses ou effets divers, comme par exemple sur ce Bass Jam final, renversant et mélancolique à souhait".

Avis issu du comité d’écoute

RIYL : MF Doom, Run The Jewels.


14. Lorelle Meets The Obsolete - Datura


Pour désigner l’univers du duo mexicain, je vais opter pour la facilité en citant Ulrika Spacek et My Bloody Valentine. Placez donc ces deux influences aux deux extrémités d’un axe et observez Lorelle Meets The Obsolete évoluer entre ces deux univers. Rock alternatif refusant les conventions d’usage mâtiné de shoegaze, tel pourrait être le résumé du terrain de jeu choisi par le duo actif depuis 2011, qui signe là un album aussi hargneux que maîtrisé. Décapant.

RIYL : Ulrika Spacek, My Bloody Valentine, Sonic Youth.


13. Sigur Rós - ATTA


"Dans le même registre, je pense au Átta de Sigur Rós, un poil décevant à la première écoute - il souffre forcément de la comparaison avec son prédécesseur, l’excellent Kveikur, mais se bonifie avec le temps. Il faut dire que j’ai toujours tenu en très haute estime ( ) (leur meilleur avec Takk... selon moi, devant Kveikur et Ágætis Byrjun - les puristes vont m’en vouloir de le placer si bas), et que cette nouvelle sortie lorgne vers les mêmes contrées. Souvent dénué de percussions, Átta laisse la part belle à la voix de Jonsi et aux sublimes arrangements de cordes. Un Sigur Rós mineur mais pas ridicule, entre ( ) et Valtari, un très bon album au demeurant, donc".

Avis issu du bilan 2023 à mi-parcours de la rédaction

RIYL : Sigur Rós (qui d’autre ?), Godspeed You ! Black Emperor et múm éventuellement.


12. DM Stith - Fata Morgana


Peu convaincu par DM Stith jusqu’alors (pas même tout à fait par son Heavy Ghost que certains copains d’IRM tiennent en haute estime), ce Fata Morgana m’a agrippé sans jamais desserrer son étreinte. Il faut dire que, d’emblée, avec ce Greyhounds introductif, je trouve tous les éléments que j’aime dans cette indie folk : une voix envoûtante avec juste ce qu’il faut de failles, un sens mélodique imparable et une multitude d’effets et sonorités qui ne sont d’ailleurs pas sans rappeler celles que j’aime dans la musique islandaise façon Sin Fang. Et la suite de l’album est à l’avenant, entre folk-pop songs à l’efficacité redoutable et circonvolutions électroniques, le tout saupoudré de chœurs délicieux.

RIYL : Sufjan Stevens (le vrai, pas celui du dernier album, une des déceptions de l’année 2023), Damien Jurado, Sin Fang, Owen Pallett.


11. Yo La Tengo - This Stupid World


Shoegaze, pop songs et même krautrock, tel est le menu proposé par Yo La Tengo dont j’ai également bien apprécié le concert proposé à La Route du Rock cet été. Je n’ai pas toujours suivi le combo new yorkais, dont il s’agit quand même du dix-septième album, mais je reviens parfois avec plaisir, au gré de leurs fulgurances comme celle-ci, vers leur univers. Le rythme de ce This Stupid World, emmené par un Fallout pas loin d’être le single de l’année, est élevé, et les quelques ballades assurent des répits qui permettent d’assimiler ce que l’on vient d’entendre : des claques qui nous accompagnent encore près d’un an après sa sortie.

RIYL : Dinosaur Jr, My Bloody Valentine, The Flaming Lips.


10. Laura Veirs - Phone Orphans


Sans doute mon album préféré de Laura Veirs. L’artiste basée à Portland signe ici un disque dépouillé sur lequel la guitare acoustique, quasiment le seul instrument utilisé, offre à sa voix un écrin incroyable de délicatesse et de sérénité. Ritournelles et ballades folk s’enchaînent et le temps semble suspendu (Rocks of Time, Creatures of a Day).

RIYL : This Is The Kit, Alela Diane, Emily Jane White.


9. Sparklehorse - Bird Machine


D’ordinaire peu friand des albums posthumes, je me suis laissé surprendre par cet album. La surprise est toute relative, étant entendu que j’ai été un grand fan de Sparklehorse et que je considère la mort de Mark Linkous comme l’équivalent, plus underground, pour le post-ado que j’étais, de celle de Kurt Cobain pour la génération précédant la mienne. Mais je dois bien reconnaître que la flamme avait fini par s’éteindre, et je reviens peu vers les albums de Sparklehorse.
Néanmoins curieux, j’ai essayé, et la famille de Linkous a décidément bien travaillé (à moins que ce ne soit tout simplement Mark qui ait laissé un matériel de grande qualité). La production est juste, à la fois moderne et fidèle à l’esprit de l’Américain. Et surtout, il y a là de parfaites pop songs tourmentées juste ce qu’il faut, comme Sparklehorse savait en produire à la volée, dans un versant électrique (It Will Never Stop, I Fucked It Up, Chaos of the Universe) ou plus apaisé (Kind Ghosts, Evening Star Superchargers ou The Scull of Lucia). Tout est bon, vraiment !

RIYL : Eels, Pavement, Bill Callahan.


8. Puma Blue - Holy Waters


L’ami Rabbit évoquait la parenté du Mezzanine de Massive Attack dans sa chouette chronique et je crois d’ailleurs que c’est avec cette comparaison en tête que je me suis précipité sur l’écoute de ce Holy Waters. Bien m’en a pris. Lugubre sans jamais être glauque, le trip-hop de Puma Blue convoque bien les différents pionniers de Bristol (la bande de 3D, donc, mais aussi Portishead voire BEAK> sur Gates (Wait For Me)). Le downtempo développé par Jacob Allen est intemporel et brasse si large que seule son écoute permettra d’en déterminer toute la richesse, de la néo-soul au nu-jazz, en passant donc par le trip-hop ou même le krautrock. Un chef-d’oeuvre.

RIYL : Massive Attack, Portishead.


7. Ghost Woman - Anne, If


"Le rock psychédélique façon Brian Jonestown Massacre teinté, logiquement, de l’influence du Velvet Underground pour Ghost Woman, projet de Evan Uschenko. L’album Anne, If s’écoute d’une traite et permet d’explorer des contrées variées, allant jusqu’à un jam krautrock (Street Meet) en passant par des ballades velvetiennes, donc, et des morceaux plus électriques. Le sens mélodique de l’artiste l’emporte sur la masse d’albums surfant dans des eaux similaires".

Avis issu du bilan 2023 à mi-parcours de la rédaction

RIYL : Brian Jonestown Massacre, The Velvet Underground.


6. The Underground Youth - Nostalgia’s Glass


Craig Dyer, homme à tout faire (ou presque) du combo, revendique lui aussi l’influence d’un Brian Jonestown Massacre décidément à l’honneur au cours de ce bilan. Le Britannique développe, sur son onzième album en quinze ans, des compositions psychédéliques et sombres, où l’on bascule volontiers entre les esprits du Velvet Underground et ceux de Nick Cave and the Bad Seeds voire même de The Cure (Omsk Lullaby). Rien que du très recommandable donc, d’autant plus que The Underground Youth ne se contente pas de pasticher ses aînés, mais digère ce cocktail d’influences pour produire un univers tout à fait singulier, varié et envoûtant. Hautement conseillé.

RIYL : The Brian Jonestown Massacre, Nick Cave and the Bad Seeds.


5. Ulrika Spacek - Compact Trauma


"Enfin, la vraie bonne surprise, c’est le retour d’Ulrika Spacek alors que je pensais - sans retrouver cette information nulle part, elle n’est donc sans doute pas fondée - qu’ils avaient splitté. Six ans après leur deuxième album et sept après le premier, Compact Trauma évite tous les clichés qui minent les sorties étiquetées "rock indé" en ne se souciant que de ses compositions. Mélodiquement riches, elles refusent tous les codes et oscillent entre psychédélisme et shoegaze voire même post-rock, sans jamais perdre leur cohérence ou leur clarté. Impressionnant et addictif, à recommander pour un été frais".

Avis issu du bilan 2023 à mi-parcours de la rédaction

RIYL : Froth, Brian Jonestown Massacre.


4. Cloudwarmer - The Quiet Haunt


Tous les ans, un album d’Eddie Palmer se hisse dans mon top 10 que ce soit, comme souvent, avec Cloudwarmer ou, comme en 2022, Aries Death Cult. Avec The Quiet Haunt, le duo formé par l’américain et Brett Zehner est tout à fait décomplexé dans sa capacité à produire des mélodies imparables en recyclant des éléments piochés ici et là. En l’occurrence des samples vocaux de chansons de gospel américaines des années 1920 tombées dans le domaine public.
Présenté de cette manière, cela peut refroidir. Et pourtant, le génie du duo tient réellement dans sa capacité à créer des ambiances bien singulières (on reconnaîtra ici la basse imparable chère à Eddie Palmer sur un titre tel que When You See Me Again It Won’t Be Me) en brassant des influences diverses. Abstract, trip-hop, downtempo, lo-fi expérimentale... on ne trouvera probablement pas la bonne étiquette pour identifier The Quiet Haunt mais qu’importe. Riche et cohérent, il est difficile d’extraire un moment de cet album mais le Are The Owls Always Watching You ? final constitue assurément l’un des sommets de l’année 2023. Nouvelle réussite pour le duo.

RIYL : UNKLE, Amon Tobin.


3. Public Memory - Elegiac Beat


Découvert, comme le Puma Blue, grâce à une chronique de Rabbit au cours de laquelle étaient cités, à la volée, Radiohead, Jay-Jay Johanson, Beth Gibbons et Cloudwarmer. Autant d’artistes de chevet que le trip-hop de Public Memory rappelle forcément ici et là. Le New-Yorkais Robert W. Toher choisit donc de reléguer aux oubliettes le post-rock dont il était jusqu’ici coutumier pour s’intéresser avant toute chose aux beats mélancoliques (il serait trop facile de dire élégiaques) et son downtempo m’a particulièrement rappelé un projet semble-t-il éteint depuis quinze ans que tout le monde, ou à peu près, aura oublié, en l’occurrence Dirty Elegance dont le Finding Beauty in the Wretched de 2007 reste une valeur sûre du genre. Assez immédiat et néanmoins extrêmement fouillé, Elegiac Beat est une des réussites majeures de l’année.

RIYL : Portishead, Jay-Jay Johanson, The Cinematic Orchestra.


2. Nabihah Iqbal - Dreamer


"Cette Londonienne a réussi la parfaite fusion entre deux de mes passions musicales les plus intenses : l’électro-IDM planante de Boards of Canada dont on percevra la filiation au niveau de la texture des synthétiseurs, et le shoegaze lancinant de Slowdive. Parvenant à associer ces univers, Nabihah Iqbal déroule son propos en le faisant muter selon ses envies, variant les rythmes, les atmosphères et les constructions pleines de contre-pieds ou répétitives, c’est selon. Addictif à souhait, une réussite totale".

Avis issu du bilan 2023 à mi-parcours de la rédaction

RIYL : Slowdive, Boards of Canada.


1. Slowdive - Everything Is Alive

Au cours d’une année 2023 durant laquelle j’ai surtout écouté des artistes américains, ce sont de vieux routards anglais qui trustent la première place.


"La genèse dEverything Is Alive est particulière puisqu’elle a débuté avant les périodes de confinement, et l’album a - lui aussi - été contaminé par ces temps particuliers tandis que Rachel Gowsell et Simon Scott ont chacun perdu l’un de leurs parents durant ce processus créatif. De quoi voguer vers des contrées sombres ? Pas seulement. Neil Halstead a principalement avancé seul sur la composition, tentant de tracer un sillon singulier, bien que nécessairement touché par la lourdeur de l’ambiance globale.
Et il en ressort des pépites telles que Chained to a Cloud et son inattendu arpeggiator auquel les effets et habituels arrangements de Slowdive se marient étonnamment bien, ou encore l’imparable single Kisses, un The Slab de clôture rappelant aussi bien les cendres de Mojave 3 que Stereolab, la contrition minimaliste de Prayer Remembered ou enfin, cerise sur le gâteau, le morceau de l’année à savoir Skin in the Game, résumé et synthèse parfaite de ce que devrait être le shoegaze des années 20, en prolongement de l’excellent éponyme de 2017 : quand ambition et assurance se mêlent à la candeur et à l’évidence. Quand on a dit tout cela, on a déjà cité plus de 60% d’un album qui ne contient aucune fausse note mais qui, peut-être, aurait gagné à dépasser ces 42 minutes réparties sur 8 morceaux seulement. C’est qu’on en redemande, d’autant plus que le groupe en avait encore sous le capot (Rachel parle d’une version électronique de Kisses renversante) et s’est limité à cette durée pour ne pas altérer la qualité sonore en vinyle. Dommage, car qui écoutera ce disque sous ce format ?"

Voir les avis (plus mitigés) des copains sur le comité d’écoute

RIYL : Slowdive et Mojave 3 (forcément), Ride.


EPs :


4. Radio Free Europe - The Great Sample Radio Show (Radio Free Europe vol. 1) EP


Vingt-trois minutes pour un seul morceau, et ça part dans tous les sens, du hip-hop au rock psychédélique, en passant par le downtempo et des sonorités jazzy. Comme le soulignait Rabbit dans sa chronique (encore merci pour la découverte), le projet ressuscite aussi bien des ambiances de guerre froide que l’univers de The Fucked Up Beat. J’ajouterais quelques similitudes, forcément momentanées car on passe ici délibérément du coq à l’âne, avec le duo français Air. Bref, un joyeux bordel aussi savoureux qu’addictif, défendu par La Voix Dans Le Désert.

RIYL : The Fucked Up Beat, Air, et à peu près tout ce que l’on défend dans nos colonnes.


3. Beach House - Become EP


"L’EP de Beach House, issu des mêmes sessions que l’album précédent - un poil décevant car trop long et inégal - est une vraie réussite. Become permet à Alex Scally et Victoria Legrand de clarifier leur propos en le rendant plus cohérent et toujours aussi hypnotique et enivrant. La dream-pop des Américains est probablement ce qui se fait de mieux dans le genre à l’heure actuelle".

Avis issu du bilan 2023 à mi-parcours de la rédaction

RIYL : Mazzy Star, Alvvays.


2. Grosso Gadgetto & Innocent But Guilty - Welcome To The Frontier EP

Plus que du trip-hop à l’ancienne, c’est une fusion d’abstract, de hip-hop instrumental et de musique cinématographique que nous proposent les pierres angulaires de l’underground contemporain que sont Grosso Gadgetto et Innocent But Guilty (avec lequel j’ai eu l’honneur de sortir un EP sous l’alias Break On Beacons en 2023). Assez immédiat mais néanmoins exigeant, tel est le lot de ces sorties lorgnant, comme celle-ci, dans un univers évoquant aussi bien Pretty Lights que Bonobo voire même, lorsque les arrangements de cordes apparaissent, Rob Dougan ou The Cinematic Orchestra. Brillant.

RIYL : Pretty Lights, Rob Dougan.



1. Aphex Twin - Blackbox Life Recorder 21f / in a room7 F760 EP


"Le court EP d’Aphex Twin constitue une réussite en ce sens qu’il y avait bien longtemps qu’un morceau du maître incontesté de l’IDM n’avait pas atteint l’intensité de Blackbox Life Recorder 21f. Trois morceaux inédits, c’est peu, mais avec un chef-d’oeuvre et deux autres titres qui tiennent la route, c’est convaincant". Et même un petit peu plus que ça après six mois d’écoutes régulières.

Avis issu du bilan 2023 à mi-parcours de la rédaction

RIYL : Aphex Twin, Autechre.

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