Après une grosse année de hiatus (le dernier remonte à novembre 2022), l’historique "top albums" mensuel d’IRM revient dans une formule légèrement remaniée : un mois de décalage pour digérer les sorties, et les avis croisés des membres de la rédaction sur des albums cités par au moins deux d’entre eux et classés en fonction de leur plébiscite dans l’équipe. Enfin, comme à l’accoutumée, les tops 5 respectifs des rédacteurs en fin d’article pour donner quelques idées supplémentaires de découvertes.

Pour la reprise, l’équipe est en petit comité mais les participants tout comme le classement devraient s’étoffer en février avec davantage de sorties marquantes et un consensus qui s’annonce plus difficile à atteindre...



1. The Smile - Wall Of Eyes

Elnorton : "Wall of Eyes est torturé mais pas désespéré, et l’on découvre d’ailleurs un Thom Yorke souriant sur les photos du dossier de presse. A la différence de son prédécesseur, il reviendra sans doute régulièrement entre mes oreilles alors que je n’en attendais rien. La confirmation que ce projet constitue bien plus qu’une agréable récréation".

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Rabbit : Moins immédiat que le premier opus du trio anglais, plus feutré aussi dans l’ensemble, avec peut-être une influence grandissante du batteur Tom Skinner et de son univers à la lisière du jazz et de la musique tribale, Wall Of Eyes s’impose rapidement pour ses atmosphères immersives et magnétiques, son hypnotisme également sur les rares morceaux plus dynamiques à l’image du long serpentin mouvant Under Our Pillows virant au krautrock fantomatique à mi-chemin, et finit même par sidérer avec le final d’un Bending Hectic amené par un crescendo de violons façon classique contemporain hanté, sommet d’intensité d’un disque qui finalement n’en manque pas.

Ben : Totalement ignorant de l’oeuvre de Radiohead, j’abordais sans attente particulière l’écoute de cette dernière livraison de The Smile. L’album s’écoute sans déplaisir et recèle même quelques jolis moments (le deuxième tiers d’Under Our Pillows, I Quit), mais ne convainc jamais totalement. Et quand le groupe s’aventure sur le territoire de Love (les deux premiers tiers de Bending Hectic), la différence de division saute cruellement aux oreilles (le final avec le son de batterie tout droit sorti de GarageBand pique fort). Un bon album mais que je sais d’avance ne jamais réécouter à l’avenir.

Le Crapaud : Quant à moi, j’ai trouvé ce deuxième album au-dessus de précédent, mais comment l’expliquer ? Tout semble pourtant y être à la même place. Les rondelettes lignes de basses qui rebondissent sur des percussions feutrées, des guitares qui s’arpègent joliment ou qui déraillent (Under our Pillows dont le riff fait écho au Thin Thing du précédent album), et l’inimitable voix droguée et déchirante du dandy d’Abingdon. Toujours aussi étonnante est la discrétion du batteur Tom Skinner dans ce projet qui semble s’excuser d’être là. Ici, son influence est peut-être un peu plus importante, mais toujours en demi-teinte, bien cachée derrière le lyrisme et les volutes des cordes. Ce qui fait toutefois de ce Wall Of Eyes quelque chose de plus intéressant que le précédent est sa tentative pour s’éloigner de Radiohead : en effet, A Light for Attracting Attention était officiellement un album que le quintet n’avait pas pu réaliser (confinement oblige), Tom Skinner étant intervenu comme palliatif. Celui-ci, composé à trois, pendant la tournée (et même testé en concert, à l’ancienne !) ouvre une voie plus singulière au trio, grâce, notamment à un nouveau producteur (ils ont enfin coupé le cordon avec Nigel Godrich). M’enfin, ça reste du Radiohead. Un bon cru !



2. kareem - Trax for the year 3G​$​$​$

Rabbit : LA grosse claque d’abstract crépusculaire et tendu de ce début 2024 nous vient d’un Berlinois inconnu au bataillon, qui reprend les choses sur ce premier album là où les Company Flow de l’instrumental Little Johnny from the Hospitul les avait laissées il y a un quart de siècle. Pas daté pour autant, Trax for the year 3G​$​$​$ s’avère en effet aussi percutant qu’insidieux voire un brin malaisant, d’un minimalisme aux nappes funèbres qui régale l’amateur de beatmaking au cordeau autant qu’il glace le sang.

Ben : Découvert sur la recommandation avisée de Rabbit, Trax for the year 3G​$​$​$ est assurément l’un des mes albums favoris de ce début d’année. Aucun hit, évidemment, parmi les dix pistes de ce long format, mais une longue déambulation urbaine dans le versant interlope de la capitale allemande. kareem nous a concocté ici la bande-son idéale d’un crossover entre "Les Revenants" et "La Haine" dans un Berlin post-apocalyptique. Particulièrement recommandés : 3 AM impermanent, SP12-Terror-headz !, rattlesnakepit, false hood.



2. Tapir ! - The Pilgrim, Their God and The King Of My Decrepit Mountain

Elnorton : Boum, le voici l’ovni du mois. Petit à petit, les chroniques du webzine tendent à s’éloigner de la pop pour trouver dans les musiques plus expérimentales les aventures sonores les plus audacieuses. Avec Tapir !, qui signe ici son premier album, c’est bien dans le domaine de la chamber-pop ou de la folk aux incursions électroniques que s’exprime cette audace. Entre Radiohead, The Divine Comedy ou Grizzly Bear, si le name-dropping est nécessaire pour susciter la curiosité des uns et des autres, le sextet londonien fait varier les plaisirs, entre dépouillement, orchestrations majestueuses et fulgurances électroniques, le tout porté par la voix haute en couleur de Ike Gray. Majestueux, et grower en puissance assurément.

Le Crapaud : Folk plaintive s’il en est, la musique de ce groupe émergent ne révolutionne rien. Et voir cet album côtoyer celui des membres de Radiohead (comme l’a judicieusement fait remarquer Elnorton), n’est pas purement fortuit. Le maniérisme du chant, le lyrisme, les accords de guitare en mode mineur... le clin d’œil est appuyé. Comme ces derniers, Tapir ! est porté par un songwriting efficace. Les ballades du chanteur Ike Gray paraissent au premier abord assez banales, sixties à souhait (comme ce My God évident que j’ai d’abord cru être une reprise, avant de me rendre compte, en recherchant la version originale, que ça n’en était pas une...), mais elles prennent en volume, en densité, à force d’écoute. Bien empaquetées dans un graphisme élégant, structurées dans un triptyque qui flirte avec le concept-album, ces chansons déploient leur grâce sans s’user. Les arrangements délicats, les chœurs des camarades, quelques notes de cornet, leur donnent une couleur finalement unique, un charme authentique et rafraichissant, comme une gorgée d’eau bue au creux de la main, à même la source.

Rabbit : Je serai pour ma part moins enthousiaste que mes collègues sur ce premier opus des Britanniques, intéressant musicalement pour sa mixture de folk rêche, d’électro aux boîtes à rythme lo-fi et de pop enluminée mais j’avoue avoir eu du mal avec les minauderies du chant et l’exubérance des mélodies vocales qui m’ont un peu gâché l’expérience, me rappelant d’ailleurs vaguement certains groupes chamber folk extravertis hypés dans les années 2000 auxquels j’ai toujours eu un peu de mal à vraiment m’intéresser, à l’image par exemple d’Architecture In Helsinki.

Ben : On voit l’intention, et la volonté de proposer quelque chose en dehors des sentiers battus est louable, mais je rejoins Rabbit sur la grandiloquence de certaines séquences qui nuit à l’ensemble. Tapir ! est bien meilleur quand il y va en sobriété : Broken Ark, le vraiment superbe Eidolon et les presque interludes Act 1 (The Pilgrim) et Act 3 (The King Of My Decreipt Mountain) qui font la part belle au spoken word.



4. R$kp - Baldr’s Northern Saga

Rabbit : On connaît plutôt R$kp pour son hip-hop instrumental sous lexomil, autant dire que ce Baldr’s Northern Saga est une bien jolie surprise, déroulant sur 10 titres cristallins aux allures de bande originale imaginaire (incursions orchestrales comprises) un univers narratif sans paroles qui évoque les étendues enneigées du Grand Nord et culmine sur le lyrisme désarmant de son final Back Home, sans pour autant renier, surtout en deuxième partie d’album, cet ADN abstract qui fait merveille sur le side project de l’Occitan, Mandrax & Captagon.

Ben : Qu’ajouter de plus à l’analyse de Rabbit à laquelle j’adhère pleinement sinon que le silence des espaces infinis n’effraie pas R$kp qui y puise une inspiration nouvelle. Baldr’s Northern Saga émeut profondément (un Loneliness que n’aurait pas renié Philip Glass ou l’inaugural At the Edge of the Species et son piano brinquebalant sous les bourrasques de l’Arctique). Pour autant, avec Same as Polar Bear, R$kp nous rappelle qu’il sait toujours montrer les crocs. Preuve que malgré sa mélancolie, notre homme reste combatif.



Les classements des rédacteurs pour Janvier 2024


- Ben :

1. Sala Bestia - Plenty of Nothing
2. ЧЕРНИХОВ | CERNICHOV - We are all deaf
3. R$kp - Baldr’s Northern Saga
4. kareem - Trax for the year 3G​$​$​$

- Elnorton :

1. 36 - Reality Engine
2. The Smile - Wall Of Eyes
3. Benoît Pioulard & offthesky - Sunder
4. Tapir ! - The Pilgrim, Their God and The King Of My Decrepit Mountain
5. R$kp - Baldr’s Northern Saga

- Le Crapaud :

1. The Smile - Wall Of Eyes
2. Tapir ! - The Pilgrim, Their God and The King Of My Decrepit Mountain
3. Ethan Iverson - Technically Acceptable
4. Elena Setien - Moonlit Reveries
5. Jan Bang - Reading The Air

- Rabbit :

1. Knoll - As Spoken
2. kareem - Trax for the year 3G​$​$​$
3. Empusae - Pilgrimage to Ganriki
4. EUS - Vergel
5. The Smile - Wall of Eyes

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