Malgré sa ligne directrice évidente (des albums pour l’essentiel instrumentaux, avec une dimension rythmique prédominante et joués/enregistrés au moins en partie avec des machines), cette sélection pourra sembler un brin fourre-tout... et pourtant : si elle peut donner l’occasion à quelques amateurs d’électronica ou de hip-hop instru - deux univers aux publics étrangement compartimentés, alors que plus d’un disque ici se joue du prétendu fossé qui les sépare - de s’emballer pour une poignée de sorties hors de leur zone de confort, cet article aura atteint son but.





1. Frank Riggio - DRI / QUA / versions/outtakes

"Dans la lignée des deux opus précédents (cf. #36 ici), ou suivants donc une fois remis dans l’ordre, les harmonies de nappes synthétiques massives et lyriques se taillent la part du lion sur DRI, via des compos plutôt downtempo alternant instrus mélodiques (stone conception) ou tendus et menaçants (triple slit experiment, mechanics), chansons hypnotiques aux litanies minimalistes à la Silver Apples (quantique somme) et morceaux plus épurés à la lisière de l’ambient quoique toujours profondément cinématographiques, qu’ils soient chantés (human construct) ou non (orgold). Souvent, Frank Riggio utilise et mixe sa voix d’une manière plus discrète ici que sur GY (gosdam), moins des mélopées à proprement parler qu’une texture parmi d’autres dans ce grand maelstrom stellaire dynamique et dense aux mutations déstructurées et distordues (in dark matter)." Quant à QUA, il mettait quelques mois plus tard un point final à la QUADRILOGY du musicien français avec une vibe légèrement plus emphatique quoique tout aussi impressionnante, et parfois des allures de musique orchestrale du futur, de même que sur certaines des outtakes lâchées dans la foulée, entre autres incursions plus abstraites à la frontière du sound design. Passionnant !


2. kareem - Trax for the year 3G​$​$​$

"LA grosse claque d’abstract crépusculaire et tendu de 2024 nous vient d’un Berlinois inconnu au bataillon, qui reprend les choses sur ce premier album là où les Company Flow de l’instrumental Little Johnny from the Hospitul les avait laissées il y a un quart de siècle. Pas daté pour autant, Trax for the year 3G​$​$​$ s’avère en effet aussi percutant qu’insidieux voire un brin malaisant, d’un minimalisme aux nappes funèbres qui régale l’amateur de beatmaking au cordeau autant qu’il glace le sang."


3. Particules - Escape Path

"Difficile de penser à un meilleur terme qu’exploration à l’écoute dEscape Path, premier album à quatre mains du duo bulgare aux allures de bande originale imaginaire, où ballets d’idiophones (Island, Zu), cuivres manipulés (Auf), synthés dystopiques et choeurs élégiaques (Ignition, Avide) voire un peu tout ça à la fois (les sommets Beyond et FUBAR) se frottent à la tension de beats post-techno savamment déstructurés et autres pulsations très deep (Shadows), dont les syncopations sinueuses et les textures particulièrement organiques contrastent avec la dimension presque mathématique (Milan). Particules, c’est un peu tout ce que la musique électronique devrait être en 2024 : mouvante, intrigante, immersive, et tout ça sans se départir d’une efficacité certaine. Un chef-d’oeuvre, quelque part à la croisée du meilleur de Pantha du Prince et des derniers sommets d’un Valance Drakes, pour faire court."


4. Empusae - Pilgrimage to Ganriki

"Nicolas Van Meirhaeghe continue de faire vivre à intervalles réguliers le projet solo Empusae, à la croisé de l’indus, de la musique électronique et d’un dark ambient aux influences ésotériques. Pilgrimage to Ganriki est comme son nom l’indique la mise en musique d’un pèlerinage du Belge à Kyoto, à gravir en 2H de marche intense le Mt. Inari pour rejoindre le sanctuaire d’une divinité shintoïste, Ganriki. Une véritable expérience mystique pour le musicien, qu’il qualifie d’épiphanie et qu’il tente donc de retranscrire en sept titres marqués par la musique traditionnelle japonaise dans sa veine la plus sombre et cinématographique, tout en percussions martiales, flûtes dissonantes, cascades de cordes capiteuses et autres choeurs de cérémonie guerrière. Une atmosphère d’abord inquiétante (Voyage to Fushimi-Ku) voire menaçante (les saturations de Romon Gate), puis lyrique (Ganriki-San) ou presque transcendantale (Power of the Eye God et son crescendo orchestral à faire dresser les poils) qui n’est pas sans évoquer le souffle épique des grandes fresques japonaises d’époque sur grand écran (on pense pourquoi pas à "Kagemusha" de Kurosawa), et même les élans tribaux de son duo Tzolk’in avec le Français Flint Glass, dont le disque retrouve une partie de l’essence spirituelle et organique."


5. Kingbastard - Beg Your Pardon...

On a un peu l’impression que plus il sort de disques et plus on est seuls à en parler, mais Kingbastard (aka Chris Weeks, WEEKS ou encore Myheadisaballoon), auteur d’une grosse demi-douzaine de sorties en 2024 dont l’EP JAM déjà très haut classé ici, a encore brillé à plus d’une reprise cette année et tout particulièrement avec cet album des plus inclassables. Entre downtempo du turfu, sound design alambiqué, techno dadaïste, électro-pop saturée, rétrofuturisme 80s aux élans new wave, breakbeat lo-fi, IDM épileptique ou onirique et même un slow burner de 13 minutes aux faux-airs de post-rock synthétique (le bien-nommé That Charming Snake), le Britannique ne choisit pas et livre à nouveau le genre de pépite mi-ludique mi-angoissée dont il a le secret avec ce projet, un disque publié à peine 4 mois après l’immense The Research Circle (#9 ici) et remarquable tant pour sa virtuosité spontanée que pour les qualités organiques et mouvantes de ses productions, loin des canons de plus en plus aseptisés du genre et autres petites mécaniques Ableton-esques surproduites jusqu’à la nausée.


6. Batard Tonique & NLC - Turbulences

"Un disque dont l’ampleur est à la (dé)mesure de ses deux auteurs, capables de télescoper drum’n’bass futuriste et arrangements bucoliques, rythmiques rampantes à la Scorn et jazz enfumé, dub et psychédélisme ethnique ou encore polyrythmies tribales et orchestrations synthétiques. On pense pourquoi pas au Techno Animal atmosphérique des années 90, à la fois pour le beatmaking mélangeur et la dimension immersive, mais avec une identité composite propre aux deux larrons, d’un côté le néoclassique bricolé de Julien Ash, de l’autre les drums métissés de Batard Tronique/Slawowycz, une collaboration que l’on avait laissée sur d’étonnants soundtracks moyenâgeux (cf. ici), autant dire que cette fois ça n’a plus rien à voir et c’est tant mieux (même si l’on adore évidemment ces deux aspects de leur fructueuse association)."


7. Cloudwarmer - Nostalgia For A Future That Never Happened

On attendait forcément de le découvrir et de commencer à en faire le tour avant de boucler ce classement, le Cloudwarmer nouveau s’avère sans surprise à la hauteur de nos espérances et, de façon plus étonnante, absolument gargantuesque avec ses 20 morceaux pour 90 minutes de musique bon poids, comme un double album en bonne et due forme. Jamais en panne d’inspiration, pas plus en termes de compos et d’atmosphère (tout est dans le titre) que de noms des morceaux d’ailleurs, toujours aussi évocateurs avec ici un aspect dystopique réminiscent des grandes heures de son précédent projet phare The Fucked Up Beat (et non sans ce soupçon d’ironie récurrent, cf. I Have Seen the Life On This Planet and That is Why I Am Looking Elsewhere), le New-Yorkais Eddie Palmer y déploie toute la palette de son savoir-faire et de son talent, avec des passages très ambient/pianistiques et narratifs (We Might Even Exist Together on the Outer Fringes of Uncertainty, Exploring the Implications of Abandoned Airports and the Concentric Halos that Appear Above Them), d’autres au groove efficace avec le beatmaking trip-hop/downtempo et le goût du sampling baroque qu’on lui connaît, des morceaux plus jazzy bien sûr (Do You Ever Think About Dying I Think of it All the Time, The 1992 World Cup Tore Our Family Apart), psyché-funk (The Dystopia of Small Scale Living Spaces), futuristes (Has Anyone Seen the Moon Lately I Have Been Looking For Seven Days, The Weather Machine Did It), deep et ténébreux (We Got a Ghost in the Neighborhood et ses allures de Massive Attack circa 1998) ou flirtant comme il le fait régulièrement depuis quelques albums avec le hip-hop instru (Let the Banks Disfigure You in Small Ways). Un grower en puissance, capable comme souvent avec l’Américain de mêler immédiateté presque easy listening, ambition, virtuosité et audaces discrètes.


8. Innocent But Guilty & NLC - Hopeful Mutants

"Tellement appréciés en ces pages qu’on les appelle désormais par leurs initiales IBG et NLC, les deux musiciens français habitués du label Lotophagus ont une fois de plus uni leurs forces un an après l’excellent Dystopian Thoughts feat. Wolf City, troquant l’ambient/post-rock pour une veine électronique de féérie noire télescopant beats variés (dont certains lorgnent étonnamment sur le hip-hop à l’image d’Under the Carpet, Behind the Curtains), arrangements élégiaques et carillonnants, et nappes psyché presque mystiques, entre deux incursions aux sonorités plus électro-acoustiques (Celestial Target). Une petite merveille inclassable comme ils en ont le secret."


9. Terminal 11 - Suffocating Repetition

"L’auteur du fabuleux Harmless Chaos - qui nous avait par ailleurs fait l’honneur en 2017 d’une participation à notre compilation hommage à "Twin Peaks" avec Lana Del Rabies en featuring - témoigne ici dès le morceau-titre d’un sens du crescendo terrassant, déstructurant progressivement son pattern futuriste tout en l’habillant de motifs de synthés anxiogènes qui prennent peu à à peu le dessus sur le beat ou sur ce qu’il en reste jusqu’à le corroder et le dévorer tout entier. Plus classiquement IDM mais tout aussi vertigineux avec ses polyrythmies à se taper la tête contre les murs d’une cellule capitonnée, Disoriented Pivot pervertit ensuite son minimalisme de façade en malmenant la stabilité de son échafaudage rythmique, tandis que l’épileptique Hectic Incidentals, avec sa dynamique presque breakcore, ressuscite le Drukqs d’Aphex Twin pour mieux le frotter aux textures cybernétiques d’un Access to Arasaka. L’acid n’est d’ailleurs pas en reste avec Racing To Nowhere, qui évolue néanmoins vers une ambient fantomatique ouvrant sur les drones du final Walls Closing In d’où s’extirperont à nouveau clicks & cuts, grouillements rythmiques et autres pulsations organiques en un véritable maelström de chaos organisé, dernière ligne tout sauf droite vers la suffocation du titre."


10. Chef Mike - Happiness

"Chef Mike est l’incarnation hip-hop de Mike Hanlon, musicien de Detroit rompu à l’IDM 8bit avec ses alias chiptune Tangible et Mesu Kasumai. En tant que Chef Mike toutefois, l’Américain est plutôt aux antipodes de ce genre d’électro régressive aux sonorités très retrogaming : avec Happiness, petit chef-d’oeuvre de hip-hop instru fantasmagorique et insidieux au sampling cinématographique en diable, on est plutôt sur le terrain d’un Ill Clinton (les inquiétants Gutter Tactics et Robin Kill) ou pourquoi pas du mystérieux Bummed Owl. La dimension lo-fi-mais-pas-trop autorise pleinement le rapprochement, de même que les incursions funky sombres et minimalistes de Sexy N Fun et Tantrums, ou surtout ce goût des samples ésotériques et intrigants, des carillons de Vision Quest à la flûte narcotique de Thoughts and Prayers en passant par les choeurs étranges de Theater Goons... sans parler tout simplement du format et de la qualité en tous points comparables de ce mini-album, futur classique en puissance assurément pour les amateurs de beatmaking underground stimulant le subconscient primal et les recoins ambivalents de l’imagination."


11. Second Seasons - Immense Heaven

"Plus encore que le très réussi R Def 1 au sound design rythmique austère et déconstruit quelque part entre l’anxiété aux intitulés cryptiques d’Autechre et le futurisme onirique d’Access to Arasaka, c’est avec ce bien-nommé Immense Heaven que se révèle à nous cette année le mystérieux Second Seasons, projet d’un New-Yorkais inconnu au bataillon dont les premières sorties remontent à 2020. Plus accessible, l’album, entre deux instrus du même acabit quoique plus dynamiques et accrocheurs (p !nch, squiggles avec ses étranges samples félins et surtout le frontal B ECO) ou au contraire suffisamment downtempo et enivrants pour caresser l’amateur d’electronica dans le sens du poil (4j, mesh overlay), tente et réussit ce télescopage contre-nature d’IDM ultra-texturée et de pop aérienne sur lequel plus d’un musicien s’était cassé les dents ces dernières années. Et si le sound design plus ou moins ardu et déstructuré n’a pas totalement déserté (scan valley, pølar), c’est bien cette électro-pop d’un genre nouveau, débarrassée des excès ostentatoires et/ou saccharinés qui plombent souvent le genre aujourd’hui en particulier dans le microcosme grandiloquent et globalement indigeste de l’"hyperpop", qui envoie le disque dans les hautes sphères."


12. Emika - HAZE

"Retour au choses sérieuses pour l’un de nos plus grands espoirs électroniques du tournant des 10s... un retour également vers le futur du passé qui passe avant toute chose par la case dubstep (celui d’un Burial plutôt que d’un Skrillex, cela va sans dire) dans un brouillard de textures réverbérées et de chant éthéré (star key), parvenant à nouveau à incorporer avec naturel ce goût pour un piano néoclassique plombé (Harmony) pour finalement nous rappeler au genre de vortex de malaise et de mélancolie mêlés qui faisaient tout le prix de l’homonyme Emika. Puis, étonnamment, le chant en vient à se mettre en retrait et à disparaître totalement sur des titres à la fois percutants et presque hantologiques (4/4, Low End), sortes de réminiscences tourmentées d’une époque que l’on imagine marquée par des déceptions et des regrets, entre deux transitions ambient ou synthétiques (Lull, Film), au point que la deuxième partie du disque s’avère être entièrement instrumentale, ce qui eut été un suicide commercial chez Ninja Tune de la part d’une artiste dont les plus gros succès à l’époque flirtaient avec le trip-hop mais devient ici le symbole d’une renaissance dans l’exigence."


13. Sun Thief - espejo oscurro

"Bien décidé à délaisser les soundscapes abrasifs et isolationnistes des débuts du projet, l’auteur de l’immense Winds n’en cultive pas moins le même genre d’ampleur dans son virage électro des dernières années, de plus en plus réminiscent des plus belles réussites de l’Allemand LPF12 avec lequel il partage un goût des textures ambient influencées par la kosmische musik des années 70 (cf. les 12 minutes downtempo envoûtantes et démesurées d’at port mimizon) et d’un contraste fort entre beatmaking agité et atmosphères presque méditatives (unbound simulator). Évoquant toujours l’electronica la plus aventureuse et imagée de la première moitié des années 90, celle de The Orb, Beaumont Hannant ou bien sûr le Autechre dIncunabula ou Tri Repetae,, le musicien mêle cette fois process analogique et digital, improvisant live avec des logiciels et des synthés sur les versions successives des morceaux jusqu’à parvenir à de véritables micro-odyssées métamorphes dont le point d’arrivée n’a plus rien à voir avec le point de départ (eolithic errata). Sonorités acid et industrielles (axon of the artificer) voire parfois presque techno versant expérimental et déstructuré (you should know by now) dominent de concert des rythmiques aux motifs mouvants, tandis que les harmonies éthérées dans le background (necromancer’s rampart) offrent une profondeur de champ particulièrement travaillée aux compositions, dotées d’une étrange vibe de futur jamais réalisé."


14. Kiasmos - II

"Très attendu depuis la sortie de l’EP Flown, dont ce second long-format reprend en intégralité dans son dernier tiers les trois merveilleux titres, II avait fort à faire pour ne pas décevoir. Alors certes, l’album n’est pas aussi parfait dans son ensemble que l’étaient ces trois avant-goûts, Burst s’avère ainsi plus classique avec ses montées et ses breaks orchestrés, et Sailed flirte d’un peu trop près avec l’hédonisme au détriment du spleen en dépit d’un très bel interlude intimiste au piano. Quant à Laced et Sworn avec leurs distos évoquant par moments une sorte d’autotune et leurs beats plus en avant, nous pourrions avancer pour pinailler qu’ils sacrifient légèrement à l’air du temps. Mais tout cela n’en demeure pas moins plutôt réussi, et que dire alors de l’élégance aux élans parfaitement mesurés et aux nappes finement texturées de Grown avec ses cordes désarmantes de mélancolie tristounette et ses basses saisissantes, du crescendo terrassant des violons de Bound ou de la mélodie synthétique de Spun qui tirerait des larmes à un caillou ? Décidément l’un des derniers représentants médiatisés de cette musique électronique trop organique, trop humaine pour l’époque."


15. Blockhead - Mortality Is Lit !

"Derrière son artwork de cartoon morbide pas très fin, Mortality Is Lit ! ne cache rien d’autre que le petit cousin des melting-pots psyché et libertaires de Downtown Science et The Music Scene  : un disque au souffle aérien et aux élans désarmants (Dolphin Lundgren, à ce titre - et quel titre d’ailleurs ! - n’est pas sans évoquer le Go ! Team des débuts), dont chaque morceau semble vivre plusieurs vies successives (la palme à l’enchaînement They Got Therapy For That / Hard Pass On The Afterlife / Thursday Night At Don Hills, 18 minutes à eux trois et autant de mouvements ou pas loin), à l’équilibre entre vibe rétro/baroque des samples et futurisme aventureux des compositions (Orgy At The Port Authority). Folie bariolée, contrepieds ludiques, beatmaking à la virtuosité discrète (George Washedington) et fausse légèreté sur fond de méditation sur le passage de vie à trépas ou sur la dépression (Attack Of The Sunrise People) : on a enfin retrouvé le Blockhead qu’on aimait !"


16. FOUDRE ! - Voltæ (Chthulucene)

"Faisant suite aux crescendos dronesques d’un Future Sabbath mystique et incandescent, Voltæ (Chthulucene) reprend les mêmes ou presque (Frédéric D. Oberland d’Oiseaux-Tempête aux mellotron, synthés et autres instruments à cordes et à vent venus de Turquie, et également aux synthés analogiques ou modulaires Paul Régimbeau aka Mondkopf et Romain Barbot de Saåad) mais prend le temps cette fois de développer une véritable narration sans paroles, entre soundtrack ambient rétrofuturiste (Holographic Pleasures, Badlands, A Moment Of Eternity : Replicate), transe introspective influencée par les folklores proche-orientaux (Visions from Zūrūtetsu, Transmutação) et elecronica à laquelle les percussions et les instruments traditionnels apportent un feeling particulièrement viscéral (Acid Karm, Cybernetic Reset). Le résultat, à la fois puissamment évocateur et d’une profonde mélancolie, n’est pas sans évoquer une sorte de Blade Runner altermondialiste, le "Chthulucene" du titre étant pour la philosophe féministe et anticapitaliste Donna Haraway un monde au bord des ruines qu’il faudrait faire sien et rendre vivable, en repensant notre rapport à la planète et aux autres."


17. The Dirty Sample - Beats To Murder Rappers 2

"Des beats au cordeau et du sampling sale mais pas trop, dont le principal terrain de jeu est celui des BOs de séries B horrifiques des années 60/70, que les amateurs du genre un peu pointus pourront s’amuser à reconnaître par-ci par-là (citons notamment sur The Children Sing la mélodie du thème de "La dame rouge tua sept fois" signé Bruno Nicolai). Entre ambiances pesantes et dystopiques à la Little Johnny de Company Flow (Easy Prey, Get Inside), vibe gothique/rétro un brin décalée (Rejoice, Don’t F@#k With Witches) et loops d’orchestrations funestes et hantées (Die in the Deep, I Can’t Make It Go) en passant par le pur cinéma pour les oreilles de No One is Left Up Top to Get Us Out of the Cave, You Can’t Win ou Don’t Forget the Cross, samples de dialogues et de foley sounds à l’appui, on est comme souvent avec The Dirty Sample dans le haut du panier du hip-hop instru atmosphérique, évocateur et très, très prenant, Beats To Murder Rappers 2 étant peut-être même parti pour s’imposer comme sa meilleure sortie à ce jour."


18. Tenshun - Galvanism / Auditory Cortex

"Sur Auditory Cortex, le beatmaker télescope drums bruts de décoffrage, plutôt uptempo jusqu’à flirter par moments avec le breakcore (cf. 9 Auditory Cortex), et mélodies distordues générées au synthé modulaire, plus stridentes, aux tonalités parfois presque acid (2 Auditory Cortex, 5 Auditory Cortex) lorsqu’elle n’évoquent pas le malaise dissonant d’une vieille bande originale horrifique gondolée par le temps (3 Auditory Cortex, 8 Auditory Cortex). Du cristallin 1 Auditory Cortex aux petits faux-airs de Plaid au régressif 11 Auditory Cortex façon soundtrack de jeu vidéo sombre et décadent en passant par les quasi kosmische 6 Auditory Cortex et 7 Auditory Cortex avec leurs arpeggiators insidieux, l’album s’avère par ailleurs plus "varié" - du moins dans le cadre de son paradigme minimaliste - que ses intitulés pouvaient le laisser craindre, et finit par s’imposer comme l’un des sommets en solitaire de l’ex pensionnaire d’I Had An Accident Records." Quant à Galvanism, sorti deux semaines à peine avant la fin de l’année, il est encore plus radical avec ses beats martiaux enrobés de basses fréquences oppressantes, véritable machine de guerre breakcore taillée pour le live dont les longs morceaux sans concession pourraient être différents mouvements d’un même set semi-improvisé : un disque qui organise un Rollerball dans ton cerveau pour mieux remettre de l’ordre manu militari parmi les neurones survivants.


19. RJD2 - Visions Out of Limelight

"Toujours autoproduit par l’ancien pilier de feu Def Jux via sa structure RJ’s Electrical Connexions, Visions Out of Limelight est une bien belle surprise pour ceux qui avaient enterré le beatmaker depuis la fin des années 2000 : le sens du sampling lyrique au groove assassin et au dynamisme communicatif y fait d’entrée de jeu son grand retour (Cold Eggs), les scratches équilibristes et virtuoses également (en particulier sur le cosmique What I Do, Man), ainsi qu’une certaine inventivité retrouvée du côté des rythmiques (cf. Wild For The Night ou le très rétro/électrique A Real Screamer à la Edan de Beauty and the Beat). Quant aux morceaux chantés, si Fools At The Haul ne fait pas partie des grandes réussites du disque avec les vocalises trop haut perchées de l’habitué Jordan Brown et des harmonies un peu bancales, l’ex soulman de Warp Jamie Lidell fait merveille pour sa part sur l’onirique Through It All, RJD2 lui-même ne déméritant pas au micro sur le très chouette et efficace Full Time Move, Jack. Même quand l’album lève un peu le pied, ça reste à vrai dire très très cool, que ce soit en mode "vintage 70s Rocky Balboa meets David Axelrod" à l’image du downtempo Es El Nuevo Estilo à la ligne de basse superbement troussée, dans une veine plus jazzy et percussive presque à la Tortoise (Resting On The One) ou avec la féérie retrouvée des meilleurs moments de Since We Last Spoke (le petit bijou Asphalt Lamentations en guise de conclusion)."


20. Brycon - The Shape of Things That Went

"Le Californien est peut-être bien ici à son sommet de sampling épuré, déroulant avec autant de classe que d’inventivité - et presque sans beats - ses ambiances cinématographiques, entre tension rétro aux contrepieds baroques (B-Temple, Knives/Guns), groove cuivré (Palm Bay, FL), pop psyché (Please, Don’t U Ever) et lyrisme anachronique désarmant comme du Crookram (le merveilleux Love U Like). Un album qui joue autant sur ses qualités texturées et une répétition de motifs hypnotiques parfois presque ambient (Corporate Holiday, Murkya, Rain’ll Fall U) que sur la légèreté des choeurs célestes et autres arrangements à la Burt Bacharach pour mieux nous happer dans son irrésistible imaginaire plunderphonics."


21. Grosso Gadgetto - Bee Eater

"À chaque nouvelle sortie du Villeurbannais son imagerie (organique et menaçante de préférence) et ses sonorités propres... cette fois c’est du côté du Québec et de l’excellent netlabel Musique Moléculaire que l’inimitable Grosso Gadgetto repointe le bout de son dard - mais halte aux esprits déplacés, c’est bien d’abeilles que l’on parle avec ce Bee Eater pesant, vicié et déployant une belle diversité d’influences dans les nuances de sombre. D’un This is an Other Story aux nappes dark ambient de crypte horrifique dont même le piano mélodique évoque les ambiances désespérées des films de Lucio Fulci, on passe ainsi à l’électro-indus d’un Animacule Hydrocarboné qui ne démériterait pas sur certains projets de Justin K. Broadrick, débouchant en fin de parcours sur une véritable tempête de déstructurations analogiques. Puis le morceau-titre évoquant les soundtracks dystopiques et crépusculaires chers à John Carpenter laisse place sur Trailer (sur une trame signée Innocent But Guilty via ce projet de remixes) au genre de beatmaking à la fois massif et stellaire qui caractérise leurs collaborations, et sur Curious Beast à cet abstract rampant aux textures de lumière noire typique de ses EPs avec le rappeur américain Black Saturn. Une nouvelle réussite aux atmosphères funestes et accaparantes."


22. Damu The Fudgemunk - Peace of Action

"7 ans après le brillant et DJ-Shadow-esque Vignettes, son dernier véritable album solo en date, le beatmaker de Washington perd en audace hors-format et en atmosphères singulières ce qu’il gagne en fluidité et en luxuriance, usant ici comme sur l’excellent Conversation Peace de samples de library music de la compagnie KPM (prisée des programmes de télévision depuis les années 60 autant que des diggers devant l’éternel tels que Madlib et feu J Dilla), le rap des fidèles comparses Insight et Raw Poetic en moins. Enregistré entre Londres, au QG de KPM, Berlin et Washington, Peace of Action reprend ainsi côté artwork le même code couleurs que l’album susnommé avec toujours cette particularité d’indiquer précisément la provenance des samples. Earl Davis de son vrai nom y manie comme souvent avec vélocité percussions boisées, idiophones, scratches atypiques et claviers cristallins (Matriarch) sur fond de beats plus midtempo, télescopant guitares et synthés (Sparks) entre deux incursions jazzy ou caribéennes (Between Black & Green, Heir Born) jusqu’à toucher à une forme de psychédélisme assez atemporelle (Stone Carving), voire parfois de rétrofuturisme (Le Grand ou Dot Matrix), avec un équilibre idéal entre abstraction et mélodies."


23. Monolake - Studio

"L’Allemand Robert Henke est de retour en très belle forme avec son légendaire projet Monolake aux presque 30 années d’existence. Sur Studio, le musicien berlinois pionnier des télescopages de techno minimale, de dub et d’IDM revient à ce qu’il sait faire de mieux, une électronique cinématographique (voire carrément narrative, cf. les liner notes sur Bandcamp) et ultra-dynamique dont la tension de tous les instants parvient à mêler ossature épurée, virtuosité discrète et sound design mouvant, le tout avec un sens aigu du détail tout en évitant le piège de l’emphase surchargée ou du genre de surproduction ostentatoire avec laquelle flirtait l’opus précédent."


24. Earthen Sea - Recollection

On vous parlait de l’année discrète et néanmoins qualitative du label Kranky (cf. #16 ici), ce nouvel opus du New-Yorkais Jacob Long en constitue à n’en pas douter le climax tout en douceur, deux ans après un Ghost Poems glitchy mais un brin léthargique, sur lequel j’avoue être passé beaucoup plus rapidement. Ici, l’auteur du superbe Grass And Trees, sans en retrouver l’irrésistible dynamique polyrythmique, renoue avec l’élégance impressionniste et mélodique des grandes heures, un dub ambient cotonneux aux arrangements délicats et aux textures engourdies par le froid dans la continuité de l’opus précédent mais beaucoup moins dominé par les effets et moins statique dans ses rythmiques, downtempo certes et néanmoins d’une belle diversité, entre click & cut organique (Cloudy Vagueness, White Sky), beats syncopés (Neon Ruins, Clear Photograph), batterie presque slowcore (Another Space) et pulsations deep (Present Day, Sunlit Leaving).


- Bonus - 26 albums de plus :

Ben Lukas Boysen - Alta Ripa
Kotra - Grit Light
Hania Rani - Nostalgia
Anatoly Grinberg & Andreas Davids - inspired by a tragedy
Mark Van Hoen - Plan For A Miracle
Ocean Teeth - Many People You Meet Tomorrow Will One Day Drown In The Sea
Maxime de Bollivier - No Rules for Monster
Kelpe - LP10
Solam - Insectasia
Squarepusher - Dostrotime
Murcof - Twin Color (vol. I)
µ-Ziq - Grush
Lilacs & Champagne - Fantasy World
Banabila & Machinefabriek - A Looming Presence
Scotch Rolex, Shackleton & Omutaba - The Three Hands of Dooms
Ghost Dubs - Damaged
The Gaslamp Killer & Jason Wool - Ananda
Lunologist - Sleep Now Voyager
Fields Ohio - Some Melodies Are Memories You Never Really Leave Behind Volume Two
Shitao - Ammonaria
DYL & Senking - Diving Saucer Attack
LPF12 - burn the world quietly
Valgidrà - Warplush Vol. 3
Bancal - L’Eau Qui Dort
2 Tones - No answer from Retrograd
OIZAK - KOHS SCD

Beautiful Gas Mask In A Phone