La part mélodique, mélancolique, méditative voire cotonneuse de mes coups de coeur ambient de cette année 2024, qui continueront dans un second volet sur un versant plus ouvertement expérimental, dronesque et contrasté, souvent abrasif et généralement inclassable.

Ici, on vous promet des découvertes à foison, à rebours des clichés du genre, et surtout quelques-unes des merveilles les plus éhontément sous-médiatisées de l’année écoulée, la faute aux a priori qui malheureusement ont la vie dure et tiennent, de concert avec un déficit de curiosité grandissant, les publications de "musiques actuelles" à distance de ce qui constitue pourtant le plus grand vivier de talents de ces 2 dernières décennies.



1. David Shea - The Ship

Beaucoup moins productif depuis son retour aux affaires en 2014 avec le superbe Rituals que sur la période 95-2006 avec environ 25 longs-formats en solo ou en collaboration (avec Scanner - souvent - mais aussi Jim O’Rourke, Zeena Parkins et d’autres encore), le vétéran ricain des musiques expérimentales, Australien d’adoption qui a depuis élu domicile chez Room40, nous avait laissés sur le très bon The Thousand Buddha Caves en 2021 et son ambient mystique et percussive inspirée par le bouddhisme. 3 ans plus tard, hormis pour sa cover bleutée, les incantations psyché du bien-nommé The Sirens ou les field recordings de chapelle caverneuse de The Waterwheel Mind, The Ship ne saurait être plus différent : né de la BO d’un jeu de réalité virtuelle prenant place sur un bateau à la destination mystérieuse et sur lequel le joueur ne connaît pas la raison de sa présence, l’album est largement investi par le piano, et si la dimension fantasmagorique est toujours présente, tirant aussi bien sur le jazz que sur le dark ambient et la harpe de la susnommée Zeena Parkins sur Light And Dark par exemple, c’est la mélancolie néo-classique qui frappe avant tout par sa grâce intemporelle, quelque part entre Satie et Sakamoto lorsque l’instrument est dans son plus simple appareil (A Ship Alone, The Waves) ou plus proche d’un Ian Hawgood dans ses incursions ambient scintillantes et texturées (The Forest Labyrithe, The Lowerdeck, The Waterwheel and the Whale Rhythm). Peut-être bien le plus bel album de cet immense musicien bien trop sous-exposé chez nous.



2. Luke Howard - Interlinked

Cela fait désormais 12 ans que l’on suit Luke Howard, encore timidement surnommé "le Max Richter australien" dans les couloirs de la rédaction bien que cette comparaison soit devenue trop étriquée pour ce géant aux va-et-vient incessants entre classique contemporain et jazz impressionniste, souffle et austérité, mélodicité et expérimentation. Extraordinaire enregistrement symphonique destiné à un ballet contemporain du chorégraphe brésilien Juliano Nunes, Interlinked fait toujours la part belle au piano, notamment en ouverture sur le sensible et douloureux Conception, mais c’est surtout ici la suite éponyme en 5 mouvements qui ne laisse aucun répit à nos petits coeurs fragiles : cordes, cuivres et vents s’y entremêlent en crescendos foudroyants de lyrisme tragique, culminant sur un Growth capable de tirer des larmes à un caillou, voire, sur Interlinked – III. Communication, de pure puissance dramatique de film imaginaire, avant que l’album ne déroule sur la harpe cristalline et les choeurs sacrés d’un Solidarity tout en spleen céleste, comme pour nous aider à nous remettre du choc. Si l’on pense encore une fois à Richter, que son homologue est en train de laisser loin derrière, c’est donc à celui des plus grandes heures, de On the Nature of Daylight au score de la série The Leftovers, c’est dire l’intensité et le sentiment d’éternité qui se dégagent de concert de cette oeuvre terrassante d’émotion sans pour autant chercher à l’être.



3. The Necks - Bleed

"Toujours verts après plus de 3 décennies d’activité et quelques 23 albums, le pianiste Chris Abrahams, le batteur Tony Buck et le contrebassiste Lloyd Swanton laissent cette fois assez loin derrière les derniers codes du jazz qui irriguaient encore leur libertaire Travel de l’année précédente, également marqué par la tension hypnotique du krautrock. Ici avec Bleed, constitué d’un unique morceau de 42 minutes, c’est l’ambient qui prend le dessus : le piano égrène ses arpèges et accords épurés sur fond de silence et de nappes texturées intégrant notamment reverbs, percussions cristallines et roulements de batterie épars, flirte tantôt avec l’atonalité, tantôt avec le modern classical, avec des interventions ponctuelles de la contrebasse comme vecteur de tension et même d’une guitare qui n’est pas sans évoquer, surtout en fin de disque, l’ambient post-rock évanescent d’un Labradford. Très probablement l’un de leurs opus où les Australiens se réinventent le plus radicalement, au point déjà de décevoir quelques fans hardcore ce qui, au fond, est plutôt une bonne nouvelle. Grand disque !"



4. Ellen Reid - Big Majestic

Pas faute d’avoir parlé très tôt dans nos colonnes du label américain de musique classique contemporaine New Amsterdam avec notamment sa talentueuse co-fondatrice Sarah Kirkland Snider ou le virtuose NOW Ensemble, nous sommes très loin d’en avoir exploré les quelques 190 références. Et quoi de mieux pour s’y remettre qu’une découverte absolument ébouriffante, en l’occurrence celle de la compositrice californienne Ellen Reid ? Épaulée par un ensemble conséquent d’instrumentistes issus de milieux variés, parmi lesquels le saxophoniste Shabaka Hutchings, la grande Nadia Sirota à la viole, James McVinnie (du label Bedroom Community tout comme cette dernière, et collaborateur notamment de Philip Glass ou Squarepusher) à l’orgue synthétique, la vocaliste Lisel ou encore l’increvable Kronos Quartet que l’on ne présente plus, la musicienne elle-même aux synthés livre une véritable symphonie futuriste pleine d’arpeggiators ascensionnels et d’harmonies vocales abstraites, quelque part entre le score de "Blade Runner", le modern classical cinématographique et dronesque de Valgeir Sigurðsson et les élans polyphoniques aux arrangements ethniques de Vieo Abiungo. Un sommet du genre, qui s’impose aussi, quelque part, comme un sommet de "non-genre"... absolument irréductible.



5. Ryuichi Sakamoto - Opus (live)

D’accord, rien d’inédit ou si peu (citons le troublant BB, et l’hommage solennel à Johann Johannsson de For Johann) sur ce live posthume au piano solo du regretté compositeur japonais, enregistré et filmé en studio à la fin de l’année 2022 quelques mois avant sa disparition. Mais comment ne pas être terrassé par ces réinterprétations bouleversantes d’épure et de mélancolie, qu’il s’agisse de raretés comme Lack of Love en ouverture, tiré d’une BO de jeu vidéo, de merveilles tardives (les crève-coeur Andata et 20220302 - sarabande), de "vieilleries" synth-pop du Yellow Magic Orchestra radicalement métamorphosées (Tong Poo), de favoris live méconnus sur album (Solitude, extrait du score du film japonais "Tony Takitani"), de morceaux déjà interprétés au piano sur les disques qui les ont vu naître (Mizu No Naka No Bagatelle et Aqua respectivement issus de Playing the Piano et de BTTB, dont le Satie-esque Opus donne par ailleurs son titre au live), de thèmes ciné connus (outre les passages obligés du "Dernier empereur" et de "Furyo", on retrouve "Un thé au Sahara" et "Les hauts de Hurlevent" version 1992) ou bien sûr de chefs-d’oeuvre certifiés peut-être plus poignants que jamais ici dans leur plus simple appareil (Bibo no Aozora, Happyend) ? On saluera également la présence du beau Trioon composé en collaboration avec Alva Noto pour l’album Vrioon (premier de leurs 5 longs-formats en commun) et débarrassé ici de ses fréquences électroniques entêtantes au profit de connotations funèbres, cette conscience des dernières heures qui accompagnait le musicien depuis le début de sa lutte contre deux cancers successifs. Probablement l’album le plus médiatisé de cette sélection et pour une fois c’était tout à fait mérité.



6. Mind Over Mirrors - Particles, Peds & Pores

"Retour discret mais inspiré pour Mind Over Mirrors, projet de l’Américain Jaime Fennelly actif depuis une grosse douzaine d’années dans une ambient aux inspirations cosmiques et psyché qui a pour particularité de laisser une place de choix à l’harmonium, instrument de prédilection du musicien. Il est dommage de constater que le projet, pourtant passé par des labels emblématiques du genre tels que Digitalis, Immune ou Hands In The Dark, soit déjà retombé sous les radars avec ce très beau Particles, Peds & Pores aux soundscapes irradiés, retour à une ambient plus épurée qui pourtant ne démérite en rien et devrait même faire très belle impression aux amateurs de rêveries analogiques (cf. en particulier le merveilleux triptyque Blank Vessels) comme aux admirateurs de labels tels que Ghostly International ou n5MD. En effet, à côté de titres où l’harmonium se fait plus saillant tels que le mélancolique The Lateral Line ou le bien-nommé Organoleptic au minimalisme hypnotique, le dynamisme de l’Américain n’a pas tout à fait disparu, en témoignent notamment One Wing Beat avec sa boîte à rythme aux pulsations feutrées et ses arpeggiators oniriques, ou le crescendo magnétique d’un Suprachiasmatic dont les sonorités futuristes contrastent avec la rythmique presque rituelle."



7. Igor Ballereau - Ptyx

"Oeuvre d’un musicien et vocaliste français co-fondateur du label, SHSK’H, Ptyx est à l’intersection idéale de nos passions en matière de musiques expérimentales, alternant notamment piano néo-classique aux textures crépitantes (les Lettres sans mots) et dark ambient mutant aux atmosphères hantologiques gondolées par le temps (Mer intérieure, In excelsis) et mâtinées d’oscillateurs (Chambre 0) ou de field recordings, psychédélisme ésotérique de film d’épouvante imaginaire des années 60/70 (Loreley, Ptyx, Membres de l’Invisible) parfois hanté par d’étranges instruments-jouets (Région Novembre), jazz lynchien (Soir et neutre) et classique contemporain atonal aux cordes dissonantes (Le seul endroit) ou aux choeurs faussement angéliques (À l’orée). Une belle singularité dans le paysage ambient, qui tire son titre d’une référence à Mallarmé et surprend en particulier par sa dimension organique voire presque lofi (Portrait de So, Schwanengesang) issue d’un travail sur vinyles ou bandes magnétiques et de la place centrale donnée au sampling d’enregistrements sous licence Creative Commons, loin des clichés que l’on peut s’imaginer des musiques autoproclamées "savantes" dont Igor Ballereau, avec cet album immersif stimulant le subconscient autant que l’imagination, a su conserver la science de l’expérimentation analogique sans en perpétuer l’élitisme ni la prétention."



8. Bill Baird - Soundtrack

"Si ce nouvel opus de Bill Baird, aussi éclectique dans ses contextes d’enregistrement (tantôt en studio, dans la nature ou dans une salle de concerts classiques à New York) que dans ses approches musicales (du drone vaporeux de Air 2 à la chamber pop orchestrale de Invisible 2), manque quelque peu de ligne directrice musicalement parlant, par-delà son ambition de compiler divers morceaux considérés par l’Américain comme des mini bandes originales de films imaginaires doublées de références aux éléments et autres phénomènes naturels (cf. les titres), il condense aussi merveilleusement ses influences, moins antinomiques qu’il n’y paraît. Ainsi, qu’il s’agisse d’ambient ascensionnelle et luxurieusement arrangée évoquant presque les incursions les plus atmosphériques de Sigur Rós en la matière (Pyre, Air 3) ou de pop instrumentale au lyrisme désarmant (Invisible 1), de nappes éthérées aux arrangements jazz évanescents (Air 1) ou de kosmische musik introspective au diapason de cette pochette très space rock (Water), le résultat trouve rapidement dans un certain onirisme en cinémascope le soupçon de cohérence nécessaire pour pleinement apprécier même dans leurs enchaînements pas toujours des plus homogènes ces compositions toutes plus vibrantes et majestueuses les unes que les autres."



9. Chuck Johnson - Sun Glories

"Si les aficionados de Western Vinyl, passés par exemple par la case Slow Six/Wires Under Tension de l’excellent Christopher Tignor, ne seront pas forcément surpris des incursions post-rock atmosphériques que nous ménage l’ambient à guitares et synthés de ce superbe Sun Glories, il n’en sera pas forcément de même des admirateurs de Chuck Johnson, fraîchement débarqué sur le label texan avec ce digne successeur du merveilleux soundtrack Music From Burden Of Proof de 2023, mi-orchestral mi-kosmische mais déjà travaillé par quelques noeuds de tension rythmique. En effet, le Californien nous avait plutôt habitués à un certain ascétisme contemplatif, que l’on retrouve ici sur un titre tel que Superior Mirage avec ses nappes oniriques et solaires mêlant accords caressants, tremolo picking et synthés planants. Néanmoins, dès Teleos, on sent que cette sortie va être d’une autre trempe : toute batterie en avant, le morceau déroule en effet sur 7 minutes un crescendo d’intensité feutrée, dont on retrouvera l’esprit en plus incandescent sur la seconde partie du final Broken Spectre, voire abrasif en conclusion du stellaire et saturé Hovering... le sentiment d’une fébrilité susceptible de prendre le dessus à tout moment qui en magnifie le bouillonnement sous-jacent, comme la chaleur sous les radiations distantes d’un astre faussement apaisé."



10. Masayoshi Fujita - Migratory

"Encore un pas de plus dans la "remigration" du vibraphoniste nippon vers l’ambient et l’onirisme par rapport à ses précédentes réalisations pour le label Erased Tapes (Desonata, Ocean Flow), vers une forme d’envoûtement hypnotique également (Tower of Cloud), un synthé entêtant aux sonorités d’orgue prenant même le pas sur le vibraphone sur Pale Purple ou Yodaka, tandis qu’avec Blue Rock Thrush ce sont les lignes de saxophone de son compatriote Osamu Fujita qui tirent momentanément la couverture avec le même effet agréablement anesthésiant. De petits pas de côté en somme, qui font de ce 9e long-format une nouvelle étape passionnante dans la carrière du musicien, à commencer par l’apport inédit des voix, d’abord le spoken word presque new age de Moor Mother sur un Our Mother’s Lights aux cascades percussives répétitives et minimales à la Steve Reich sur fond de synthés et d’arrangements transcendantaux, puis le chant susurré de la Japonaise Hatis Noit sur Higurashi, probablement le morceau le plus ambient et impressionniste du disque à la mesure de ses field recordings champêtres. Et même lorsque le vibraphone reparaît dans son plus simple appareil au lieu de se fondre comme sur l’orageux Valley dans un tout impalpable, il semble résonner dans une océan de silence où seul subsiste l’écho d’une nappe de synthé perdue dans le lointain (Distant Planet), comme si Masayoshi Fujita se devait encore de trouver de nouvelles manières d’aborder son instrument de prédilection pour continuer d’explorer et d’aller de l’avant."



11. William Ryan Fritch - Adhesion

Éternel client de nos bilans ambient/modern classical qu’il domine souvent sans partage, l’ex multi-instrumentiste du Skyrider Band de Sole déroule sur cette énième sortie pour l’inimitable label Lost Tribe Sound sa veine la plus élégiaque et minimaliste, les instruments - violoncelle, contrebasse, synthé analogique et saxophone en particulier - subissant nombre de manipulations, notamment de nature percussive, pour se fondre dans un grand tout impressionniste aux résonnances pesantes et lancinantes. Exit pour de bon donc la virtuosité polyphonique et percussive de Vieo Abiungo, précédente incarnation du Californien, ou le lyrisme aux élans primaux de ses bandes originales : sur Adhesion une certaine austérité domine, à la mesure de cette thématique de la crise engendrée par la pénurie d’eau qu’aborde la trilogie entamée avec le fabuleux Polarity (mon album de 2023), série que le musicien semble ici vouloir clore sur la tragédie sourde d’un assèchement inévitable, dont notre manque de prise en considération globale ne cesse de nous rapprocher année après année.



12. zakè - Lapis

"Vous nous connaissez, on parle suffisamment d’ambient depuis 12-15 ans pour ne pas mentionner à tout bout de champ l’auteur de Music For Airports, et pourtant impossible de passer à côté de la référence Brian Eno cette fois tant la quiétude et la pureté de ces progressions harmoniques nourrissent d’atomes crochus avec le séminal musicien britannique. On aurait pu citer aussi Stars of the Lid pour ce minimalisme vaporeux aux nappes d’éternité riche en émotions subtiles sans avoir l’air d’y toucher. Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse du ressac spleenétique presque océanique de vow, des courants souterrains aux délicats échos caverneux d’akin, du foisonnement cosmique au hiss crépitant d’origin ou du lent crescendo ascensionnel de home, zakè vient assurément de nous donner envie de rattraper au plus vite une discographie déjà pléthorique."



13. Tomoyoshi Date & Bill Seaman - Duet

Collaborateur récurrent de Craig Tattersall (The Humble Bee) depuis une douzaine d’années, entre autres favoris maison dans ces sphères ambient et expérimentales tels que offthesky, Stephen Vitiello, Maps and Diagrams (cf. plus bas) ou encore Machinefabriek, Bill Seaman soutient ici de ses nappes subliminales et autres ballets de souffles et de fréquences les pianotages volontiers atonals du Japonais Tomoyoshi Date, tiers d’Illuha, qui nous gratifiait également en 2024 d’une superbe Piano Trilogy faisant la part belle sur fond de textures éthérées à une approche plus romantique et contemplative de l’instrument. En ce qui concerne Duet, sortie de fin d’année du passionnant label Quiet Details dont pas moins de 4 références sont commentées dans ce bilan, si le spleen mélodique reparaît à intervalles réguliers sur Duet 2 et Duet 3 notamment, c’est bien la facette la plus hantée voire déstructurée qui fascine, des rêveries déstabilisantes de Duet 1 à l’angoisse insidieuse du final Duet 6 ourlé de cordes bipolaires successivement affligées puis inquiétantes, en passant par l’insaisissable Duet 5 où le piano, dédoublé et malmené par des effets de résonance et de delay, se fait particulièrement fuyant.



14. Loren Connors & David Grubbs - Evening Air

"Guitariste souvent accoquiné avec Jim O’Rourke depuis la seconde moitié des années 90, c’est cette fois en compagnie du compère de ce dernier au sein de feu Gastr Del Sol, David Grubbs, que l’on retrouve l’improvisateur septuagénaire Lauren Connors. Piano, blues électrique et soundscapes austères, la formule n’est somme toute pas bien éloignée de celle dArborvitae, jusqu’ici unique collaboration des deux musiciens datée de 2003... mais alors que le premier se fait nettement plus atonal sous les doigts de Grubbs et la guitare à la fois impressionniste et hantée lorsque Connors est seul à l’instrument, qu’elle se décline en nappes évanescentes (Evening Air) ou en échos caverneux (Choir Waits in the Wings), on renoue effectivement avec le genre de limbes angoissées (cf. par exemple The Sea Incertain) qu’affectionnait l’auteur de A Guess At The Riddle avec O’Rourke il y a près de 30 ans."



15. Cody Yantis - Half Moon Field

"On avait un peu perdu de vue l’Américain Cody Yantis depuis le très joli Possession de 2015, album d’ambient électro-acoustique opaque et crépusculaire. 9 ans et une grosse demi-douzaine de long-formats plus tard, Half Moon Field dévoile d’emblée une instrumentation beaucoup plus saillante, flirtant par exemple avec le jazz contemporain sur Enjambment, où les sonorités suaves de la clarinette se mêlent aux accords bluesy d’une guitare saturée et à des crépitements percussifs des plus intrigants, avant de tempérer un drone néoclassique aux cordes et vents inquiétants par un clavier plus doux et onirique sur Ecology, puis de réduire la clarinette à un souffle cacochyme et atonal sur Accrete, évoquant la facette minimaliste d’un Jeremiah Cymerman voire pourquoi pas certaines compositions de Colin Stetson. Néanmoins, la 2e partie d’album, plus ambient et entêtante sans pour autant s’avérer véritablement hantée, continue d’explorer une sorte d’entre-deux lunaire dont la face cachée attendrait patiemment son heure pour en troquer la poétique opalescence contre une lumière noire plus menaçante. Une noirceur qui semble guetter mais ne surgit jamais vraiment, rendant d’autant plus captivant ce disque somme toute assez inclassable d’un artiste que l’on suivra désormais de près."



16. Bibio - Phantom Brickworks II

"Bibio pas mort, c’est plus que jamais ce que l’on se dit lorsque sort un Phantom Brickworks, le premier volet en 2017 avec ses longues rêveries ambient aux textures étouffées et aux pianotages poussiéreux nous ayant déjà fortement réconciliés avec le bonhomme, dans une veine encore plus cotonneuse et mélancolique qu’à ses premières heures. Sur cette suite toujours entièrement instrumentale, l’Anglais fait tout aussi bien sinon mieux sans changer grand chose au concept de l’opus précédent : 67 minutes d’harmonies éthérées jouées depuis les tréfonds d’une cave humide et vétuste (Dinorwic), de mélodies néoclassiques au piano érodées par le temps (Phantom Brickworks VI & VII, Spider Bridge), de nappes élégiaques (Llyn Peris) et de tranches de pure ambient hypnagogique et craquelante (Brograve, Sychder MCMLXXXIX) auxquelles s’ajoutent cette fois des choeurs méditatifs en écho du plus bel effet (Dorothea’s Bed, Tegid’s Court) et autres voix d’outre-monde aux motifs entêtants (Suram). Le résultat, envoûtant et hanté par les réminiscences d’un passé qui peine à guérir, est à n’en pas douter l’une des plus belles réussites du musicien, comme on n’en espérait plus vraiment après BIB10. Comme quoi, les fantômes ne sont pas toujours les invités les plus malvenus..."




17. Alex Smalley - Wave Particles

"Génie de l’ambient séraphique à connotation néo-classique avec Olan Mill, ou plus minimaliste et abstraite quoique tout aussi délicate et éthérée avec Pausal, Alex Smalley retrouve sa moitié Maria Smalley (avec laquelle il forme désormais le prometteur duo poptronica Circle To Square) et la violoniste Jane Wild de Seafoxes, toutes deux présentes sur son Moments At The Re-engage de 2023, et revient dans le giron du label bristolien Facture 12 ans après le merveilleux Paths. Résultat, un petit bijou d’impressionnisme aérien où les chants d’oiseaux se mêlent à la petite musique des anges, cordes et choeurs féminins rehaussant de leur lyrisme gracile le foisonnement des vibrations harmoniques et des chatoiements électroniques."



18. Maps and Diagrams - if all will be lost

"Avec désormais une belle sortie par mois, Quiet Details est décidément devenu un incontournable des sphères ambient pures et douces. En la matière, l’Anglais Tim Martin est évidemment un cador et ce depuis une vingtaine d’années maintenant, autant dire que ce ne fut pas vraiment une surprise de le voir rejoindre la toute jeune écurie britannique avec un nouvel opus de Maps and Diagrams tout en rêveries lunaires, if all will be lost, où de délicates nappes de hiss côtoient synthés opalescents aux motifs parfois presque percussifs, field recordings abstraits, distorsions érodées et harmonies embuées sur des titres longs et immersifs, parfaits pour l’introspection dans une bulle de savon emmitouflée de coton."



19. Seabuckthorn - this warm, this late

"S’il est plutôt logique de retrouver Andy Cartwright sur le foisonnant label ambient londonien Quiet Details, qui semble décidément avoir l’ambition de cartographier à lui seul le meilleur de l’ambient actuelle, on peut s’étonner que le guitariste ait choisi cette occasion pour renouer partiellement avec le fingerpicking de ses débuts chez Lost Tribe Sound. Qu’importe, d’autant que ce this warm, this late ne pouvait justement mieux rendre compte de l’ampleur du talent de l’Anglais, entre sérénades plus ou moins saturées à la Gustavo Santaolalla (Serre Long, Sage Word, More Time Than Not), folk primitiviste joliment déglinguée voire psyché aux entournures façon Mike Cooper (Rising With The Sun, The Shadow Self, Stones As Voices) et bien sûr en deuxième partie d’album le genre d’élégies aux cordes frottées, cinématographiques et crépusculaires, qui dominaient sur les opus précédents (Ley Line, Passes, Ceased To Be), entre autres morceaux un peu à l’intersection de tout ça (Serre Noir)."



20. Li Yilei - NONAGE

Belle découverte que Li Yilei, londonienne d’origine chinoise active depuis une demi-douzaine d’années et déjà croisée sur des labels tels que flau ou Lo Recordings. Avec NONAGE, son 4e long-format, la musicienne décline une ambient onirique et protéiforme, navigant d’arrangements flûtés en nappes réverbérées, d’arpeggiators opalescents en field recordings aquatiques, de pianotages déstructurés et autres choeurs distordus en cordes traditionnelles et rythmiques glitchées. Un petit cocon amniotique dont l’introduction dissonante mâtinée de spoken word samplé un brin poussif en mandarin ne donne pas forcément une bonne idée de la teneur, concentré de rêveries somatiques dont les bribes de mélodies enchanteresses auraient pu faire les belles heures de labels comme Moon Glyph ou Constellation Tatsu.



21. Mary Lattimore & Walt McClements - Rain on the Road

Association d’apparence improbable entre notre harpiste préférée, toujours fidèle au label Thrill Jockey, et l’accordéoniste des Californiens Dark Dark Dark croisé comme elle au sein du backing band de Weyes Blood, Rain on the Road les voit tous deux pousser dans leurs retranchements les plus texturés les possibilités de leur instrument de prédilection, tirant d’emblée avec Stolen Bells sur un drone scintillant tout en échos et en harmonies éthérées presque "néo-gothiques" où aucun n’est vraiment reconnaissable en lui-même. Si les sonorités cristallines des cordes pincées et les nappes lancinantes de l’accordéon se font plus saillantes sur le superbement onirique The Poppies, the Wild Mustard, the Blue-Eyed Grass de plus de 12 minutes, puis le lyrique We Waited for the Bears to Leave tout aussi démesuré dans son crescendo aux élans clairs-obscurs, l’expérimentation n’est néanmoins jamais bien loin, que ce soit avec Nest of Earrings dont la mélodicité semble peu à peu s’extirper d’un flot hypnotique de percus et d’effets reverse, ou le final The Top of Thomas Street avec son atmosphère lynchienne introduite par un piano néoclassique et des croassements de corbacs. Magnétique !



22. Julia Gjertsen - Shadow Light

La confirmation de la pianiste et musicienne électronique norvégienne Julia Gjertsen fut à n’en pas douter le couronnement d’une très belle année pour le label classical ambient montréalais Moderna. Deux ans après les élans intimistes du beau Formations, le lyrisme rythmique et synthétique y perd encore du terrain au profit d’un modern classical de plus en plus évanescent et délicat, agrémenté de nappes vaporeuses et parfois de field recordings pastoraux (Janma), d’effets en échos (Sometimes) ou même de percussions discrètes (Further). Moins de dynamisme donc hormis sur le dernier cité, mais un élan de vie toujours palpable dans ces compositions à fleur de peu, maniant avec une finesse inédite l’ombre et la lumière comme des courants de mélancolie et d’espoir en constante friction.



23. Sarah Neufeld, Richard Reed Parry & Rebecca Foon - First Sounds

On retrouve un peu par surprise la Montréalaise Rebecca Foon, violoncelliste des fabuleux Esmerine, associée à deux membres de Bell Orchestre, la violoniste Sarah Neufeld (ex Arcade Fire) et le contrebassiste Richard Reed Parry (Arcade Fire toujours), également à la guitare et aux drum machines, le touche-à-tout Shahzad Ismaily donnant par ailleurs un coup de main aux percussions. Sur First Sounds, le trio canadien est loin d’être en terrain inconnu mais pousse le curseur un cran plus loin vers le modern classical, avec des compositions impressionnistes au lyrisme diffus (Slow New Year, Rosa Canina, First Sound), des morceaux méditatifs au spleen texturé (Clouding Clouds, Georgia) et d’autres plus dynamiques et tirant vers l’abstraction (Duelling Flutters, Circular), entre deux tranches de mélancolie classical/folk plus proche des univers de leurs formations respectives (Maria, Day Three). Un petit bijou élégiaque et capiteux, qui n’a malheureusement pas fait couler beaucoup d’encre malgré les pedigrees des ses auteurs.



24. Giannis Gogos - Linger

"Infatigable pourvoyeur de talents dans les sphères ambient, Whitelabrecs nous fait découvrir l’univers du Grec Giannis Gogos, assez représentatif des sonorités rêveuses, délicates et organiques appréciées du label britannique. Comme le savent bien les fans des Cranberries, "Linger" signifie s’attarder dans un lieu que l’on est réticent à quitter, un intitulé que ce second long-format du musicien, originaire de la ville portuaire d’Alexandroúpoli et venu de la photographie, porte on ne peut mieux de par cette ambition de figer sur disque des visions fugaces (un rai de lumière, des gouttes d’eau qui tombent, etc) pour mieux en conjurer l’impermanence. Celui qui se réclame notamment de Taylor Deupree, Marcus Fischer ou encore Dictaphone, des influences assez audibles que ce soit pour les textures aquatiques riches en field recordings des deux premiers ou pour les mélodies évanescentes des troisièmes, ici essentiellement jouées au clavier (Gentle Rain) ou au kalimba savamment réverbéré (Droplets), manie également guitare et glockenspiel ainsi que diverses pédales d’effets et autres bandes analogiques qui contribuent à donner au disque cette qualité à la fois nostalgique et onirique, aux confins du sommeil et des premières impression diffuses du réveil."



- Bonus - 26 albums de plus :

Julien Demoulin - Ephemeral Maps
Enrico Coniglio - The Sirens of Titan
Kelly Moran - Moves in the Field
Xu & Francis Gri - Valley of Languages
Olivier Cong - Tropical Church
Otto A. Totland - Exin
Yui Onodera - 1982
Guillaume Pervieux - L’image
Richard Skelton - the old thrawing crux
Hammock - From the Void
Sanger and Sanger - Exotopia
Max Richter - In A Landscape
Glåsbird - Fenscapes
Laurie Anderson - Amelia
Simon McCorry & Wodwo - Every Creeping Thing
Félicia Atkinson - Space As An Instrument
Adam Wiltzie - Eleven Fugues For Sodium Pentothal
Daigo Hanada & Yoko Komatsu - Where Clouds Are Born 雲​が​生​ま​れ​る​場​所 
36 - Reality Engine
stormloop - Currents & Waves
The Black Dog - Sleep Deprivation
The Next Commuter - Mimicked Notions
Rhucle & morimoto naoki - Reminiscence
vssp - Over the sun
Taylor Deupree - Sti​.​ll
civic hall - the trembling line

Beautiful Gas Mask In A Phone