Une fois n’est pas coutume (et sans pour autant "revenir aux fondamentaux" tant les albums de cette sélection, pour la plupart d’entre eux du moins, témoignent d’une soif de liberté qui dépasse le cadre de l’indie pop même baroque ou psychédélique pour flirter avec le modern classical, l’ambient, la soul ou la musique électronique), on parle de chansons au format 3 à 5 minutes dans ce nouvel IRM Expr6ss qui a pour particularité de se concentrer sur les sorties de juin, mois le plus qualitatif en la matière depuis des lustres.
BC Camplight - A Sober Conversation (Bella Union, 27/06)
Joaillier pop attachant mais quelque peu irrégulier, le Mancunien BC Camplight avait mis 10 ans à égaler et même dépasser son très réussi Hide, Run Away inaugural, avec le magnifique How to Die in the North de 2015. Depuis, des petits bas et puis l’excellent The Last Rotation Of Earth où ses tendances à l’anxiété et à l’autodépréciation étaient poussées suite à une rupture amoureuse dans leurs derniers retranchements. Deux ans plus tard, malgré sa jolie pochette 70s et ses thématiques personnelles mêlant trauma d’enfance et sobriété nouvellement conquise, A Sober Conversation ne fait pas aussi bien sans complètement démériter, avec quelques classiques instantanés typiques de la mixture de ballades à l’ancienne, d’emphase théâtrale et de productions oniriques et contrastées chère au Britannique (The Tent, When I Make My First Million et Bubbles In The Gasoline restent immédiatement en tête), entre deux écarts un peu pompiers et/ou datés (Where You Taking My Baby ?, ou Rock Gently In Disorder avec son télescopage improbable et un brin poussif de The Divine Comedy et TV on the Radio).
Blonde Redhead - The Shadow of the Guest (section1, 27/06)
Après le retour à l’hypersensibilité mélancolique d’un Sit Down For Dinner un chouia inégal mais poignant dans ses plus beaux moments, Kazu Makino et les frères Pace entérinent le geste sur ce 11e album solo en un peu plus de 30 ans, qui a pour spécificité de réinterpréter en ouverture 3 des plus beaux titres de l’opus précédent, réenregistrés avec un choeur d’enfants d’une grâce infinie (le Brooklyn Youth Chorus), exercice pourtant casse-gueule au possible qui ne tombe jamais ici dans l’emphase sirupeuse ou le lyrisme à gros sabots, privilégiant au contraire l’émotion dans la retenue. Entre un medley francophile des plus envoûtants accommodant sur 11 minutes l’hypnotique Kiss Her Kiss Her, Before et Snowman dans leurs versions Kazu, deux relectures assez merveilleuses du crève-coeur For the Damaged Coda (conclusion de Melody of Certain Damaged Lemons qui fêtait justement le quart de siècle il y a pile un mois), la première ourlée des mêmes choeurs désarmants et la seconde, plus étonnante encore, entre cuivres mariachi et orchestrations de toute beauté (Oda a Coda), et enfin le diptyque ambient-pop bucolique Good Morning Sunshine/Good Night Til Tomorrow, la suite du disque est tout à fait du même tonneau et vient rappeler 15 ans après le sous-estimé Penny Sparkle que Blonde Redhead a toujours brillé dans l’épure, quitte désormais à recycler son propre répertoire pour en tirer la substantifique moelle spleenétique.
Herbert & Momoko - Clay (Strut, 27/06)
Accompagné de la batteuse et chanteuse britannique Momoko Gill, surtout remarquée jusque là pour avoir collaboré le temps d’un chouette double single jazz psyché avec Alabaster dePlume et Rozi Plain sous le nom de Salty Road Dogs il y a une paire d’années, le touche-à-tout électronique Matthew Herbert s’attaque ici à une électro-pop aérienne et syncopée aux productions somatiques (Mowing), mettant les incursions jazzy des débuts de son Matthew Herbert Big Band au service de ce faux easy listening aux multiples subtilités rythmiques (More And More, Show Me, Circle Shore). Ambient scintillante (Calm Water, Heart), romantisme onirique flirtant avec l’hédonisme sans pour autant y sauter à pieds joints (Fallen Again, Babystar) et vibe brésilienne au groove irrésistible (Someone Like You) y font bon ménage avec la soul moderne et mélodique de sa comparse, avec à la clé l’un des albums les plus rafraîchissants de ce début d’été, qui entre nous en avait bien besoin.
Akira Kosemura - MIRAI (Schole, 27/06)
On attendait beaucoup sur le papier de ce nouvel opus du pianiste et musicien ambient tokyoïte, qui avait pris part il y a quelques années à notre gargantuesque compilation hommage à "Twin Peaks". Le line-up de guests était en effet assez prometteur, avec notamment Devendra Banhart (sur un chouette Ongaku presque folk-pop chanté en japonais) ou Will Wiesenfeld aka Baths justement de retour cette année pour poser leur voix - une nouveauté chez Kosemura - sur les instrus électro-ambient aux arrangements de cordes asiatiques ou néoclassiques proéminents du fondateur du label Schole. Là où le bât blesse, c’est que le lyrisme (vocal autant que musical) y est beaucoup plus prononcé qu’à l’accoutumée, parfois jusqu’au trop-plein (Atlas, Underflow, ou cet Always You bien trop dans l’air du temps entre autotune sur les chorus et beat aux accents trap), ce qui n’empêche pas quelques moments de grâce, à commencer par l’épuré Lore avec le Britannique d’origine indienne Jatinder Singh Durhailay au sitar, le délicat et pianistique Under The Starry Sky enluminé par les nappes vaporeuses d’Hollie Kenniff, ou encore l’éthéré The Walking Man sous-tendu d’une rythmique electronica efficace, sur lequel les vocalises susurrées du susmentionné Baths font leur petit effet.
Jim Noir - Undercover Versions EP (Autoproduction, 24/06)
Si l’on ne sait toujours pas quand verra finalement le jour le maintes fois repoussé - et toujours très attendu - Jimmy’s Show 2, on ne peut pas dire que le Mancunien Jim Noir ait été avare en palliatifs depuis la première annonce de sortie (à l’été 2024 !) de ce 6e long format. Faisant suite au chouette Emergency EP et au plus dispensable Surprise EP de février et janvier derniers respectivement, Undercover Versions compile comme son nom le sous-entend 7 relectures de morceaux divers et variés, qu’Alan Roberts s’approprie tantôt avec ce goût du rétrofuturisme qu’on lui connaît (le superbe Theme From The BBC Television Programme One Man And His Dog dont le psychédélisme planant à synthés analo lui ressemble comme deux gouttes d’eau, le Daniel d’Elton John revu et corrigé en mode lascif et vocodé, ou encore l’étonnante reprise pour voyage spatial en caisson de cryogénisation de ce petit tube potache de la fin des 60s), ou en assumant simplement son côté rétro, en particulier sur sa cover de l’intemporel Cupid de Sam Cooke, étonnamment fidèle à l’originale, puis plus loin en insufflant une vibe à la Beach Boys période Sunflower au Northern Lites des Super Furry Animals et un onirisme rafraîchissant au ringard Baker Street de Gerry Rafferty. Une friandise à déguster frappée !
Pulp - More (Rough Trade, 6/06)
On peut déjà lire tout et son contraire sur ce grand retour de la bande à Jarvis Cocker. De mon côté, ça ne va pas être bien compliqué : n’ayant jamais eu beaucoup d’affection pour la théâtralité datée de Freaks et encore moins pour les productions 80s et la grandiloquence de Separations, j’apprécie sans modération de retrouver ici les élans indie pop efficaces et métissés de His N’ Hers et Different Class (le single Spike Island aux violons capiteux, Grown Ups ou encore A Sunset, romantique à souhait), et même un soupçon de lyrisme clair-obscur plus atmosphérique et ambitieux à la This Is Hardcore/We Love Life (de loin mes deux opus favoris des Britanniques), notamment le temps des très beaux Partial Eclipse et The Hymn of the North, de Farmers Market avec son spoken word et ses breaks feutrés, ou de Background Noise entre ballade rétro et crescendo incandescent. Par ailleurs, parmi les sommets de ce 8e opus et premier en 24 ans, n’oublions surtout pas la northern soul orchestrée des irrésistibles Tina et (surtout) Got to Have Love, climax épique d’un disque dont on n’attendait rien de particulier et qui en finirait presque par frôler le sans-faute.