Après une première sélection somme toute assez consensuelle, il est temps de passer aux choses sérieuses (et accessoirement à des avis légèrement plus argumentés) avec cette seconde série qui risque d’en hérisser plus d’un, des cibles auréolée d’une crédibilité indie mais surévaluées jusqu’à la nausée qui n’ont pas volé leur retour de bâton.




- Arcade Fire - Pink Elephant (Columbia, 9/05)

De la même manière que Nigel Godrich sur l’ignoble purge qu’était We, on se demande ce que Daniel Lanois a bien pu venir faire dans cette galère : fidèle à sa pochette rose bonbon, le 7e album studio des Canadiens jadis bêtes de scène et chantres d’un rock au lyrisme fiévreux n’est pas du tout à la hauteur des ambitions cinématographiques affichées dès cette intro instru de 3 minutes aux synthés et autres interludes idoines, se vautrant ici et là dans une électro-pop de sous-Metronomy (Circle of Trust, I Love Her Shadow) entre deux morceaux "à l’ancienne", pas désagréables mais inoffensifs et loin d’être aussi habités qu’à l’époque de Funeral (Pink Elephant, Ride or Die, Stuck in my Head). Pas la catastrophe que l’on anticipait, donc, mais pas non plus de quoi débourser 15 euros (ou le double en vinyle, sans compter les frais de port) ni se palucher sur un imaginaire "retour en forme" de Win Butler et sa bande.



- Black Country, New Road - Forever Howlong (Ninja Tune, 4/04)

Après iLiKETRAiNS et le post-rock canadien sur Ants From Up There (qu’on n’aimait déjà pas), c’est cette fois du côté de la psyché-pop 60s, d’une folk à la Joni Mitchell sans la grâce et d’un soft-rock jazzy 70s que lorgne Black Country, New Road, toujours pas le moins du monde à sa place chez Ninja Tune hormis par opportunisme d’un renouvellement de catalogue en direction de cette piteuse "nouvelle scène rock" britannique adulée des médias musicaux. Sous la houlette du boss de la production FM nostalgique, j’ai nommé James Ford qui décidément depuis l’effondrement mainstream de Simian Mobile Disco est de tous les bons coups et tous les mauvais disques, et suite au départ d’Isaac Wood au moment de la sortie de l’opus précédent, Tyler Hyde, Georgia Ellery et May Kershaw se partagent désormais l’écriture et le micro, et force est de constater qu’elles sont aussi pénibles les unes que les autres dans l’exercice, avec leurs minauderies de cousines sous-douées de Fiona Apple élevées à Stevie Nicks. Mièvrerie quand tu nous tiens (et en plus c’est interminable).



- Clipse - Let God Sort Em Out (Autoproduction, 11/07)

Entre ses prods de sous-Timbaland kitsch et datées avant l’heure signées par les mentors Neptunes et ses thématiques teubées de dealers frustrés, Clipse a toujours été l’un des projets les plus ridiculement surestimés de l’Histoire du hip-hop, cf. dans la foulée la trajectoire ultra-commerciale du tâcheron Pusha T en compère de Kanye pour imposer au grand public ce pop-rap autotuné, faussement spirituel et vaguement trapisant qui inondera les ondes dans les années 2010. Bien qu’il soit toujours produit par le racoleur Pharrell Williams des susnommés Neptunes avec le même genre de pseudo minimalisme bling bling, on a pris sur nous d’écouter cet opus post-reformation, leur premier depuis 2009, et n’en déplaise à ceux qui continuent de prendre les vessies du rap pour ses lanternes, Let God Sort Em Out s’impose sans mal comme un skeud même pas foncièrement repoussant mais simplement dénué d’intérêt, bouffant à tous les râteliers de la FM TikToquée pour moins de 25 ans : refrains lyriques suintant le miel bon marché, musique arabe de bar à chicha, beats de 808 entendus mille fois, basses cheap surgonflées, "gospel" de Télétubbies et autres gimmicks 90s RZA-esques au rabais (cf. le single M.T.B.T.T.F.). Bien que Chains & Whips soit le morceau le plus écoutable du disque, il fallait oser la référence à Rakim, coucou Kendrick Lamar, autre imposteur qui ne se sent plus pisser depuis qu’on a unanimement fait de lui le Michael Jackson du pop-rap "moderne" (plutôt logique vu que MJ était lui-même le Calimero de la soul-pop). Pour résumer, Lenny Kravitz, présent à la guitare sur ce même titre, est autrement plus à sa place ici que Nas, qui cachetonne en feat. sur un Chandeliers vaguement efficace mais sans aucune originalité. PS : filez donc écouter du vrai hip-hop, pour changer.



- Andrea Laszlo De Simone - Una Lunghissima Ombra (42 Records, 17/10)

Nullité, j’avoue y aller un peu fort en l’occurrence, ce nouvel album du Turinois déjà démesurément acclamé dans les sphères indé étant surtout particulièrement inégal et de fait beaucoup trop long, mais à ma décharge je n’ai jamais pu saquer la variété italienne qui n’a rien à envier à nos propres ignominies francophones en la matière, suffisamment pour trouver atroce les morceaux où Andrea Laszlo De Simone flirte le plus ouvertement avec le genre, à commencer par Aspetterò. Il aura tout de même fallu ronger son frein pendant 45 minutes bon poids pour en arriver aux deux vraies réussites atmosphériques et émouvantes de l’album, Pienamente et Planando sui raggi del sole (auxquelles on peut éventuellement ajouter Quello che ero una volta, si l’on aime le versant électronique de Father John Misty). Pour le reste, dans la foulée de sa BO gentillette pour "Le règne animal" dont la soi-disant magie m’était passé au-dessus autant que celle de cette fable lourdingue et bien dans l’ère du temps sur la différence et la transidentité, Una Lunghissima Ombra a surtout suscité chez moi un ennui poli, fourre-tout dont les parties instrumentales de wannabe Sigur Rós servent surtout de bouche-trou entre deux comptines pop de sous-Andy Shauf (La notte, Per te) au chant souvent mal mixé.



- Geese - Getting Killed (Partisan Records, 26/09)

Nouvelle tête de gondole d’une pseudo déglingue art-rock qui voudrait se prendre pour le Radiohead ou le Television de Partisan Records mais avec l’inspiration limitée d’un Squid (dont le Cowards a échappé de peu à cette liste) et une voix aussi pénible que celle d’Alec Ounsworth de Clap Your Hands Say Yeah (les quadras savent de quoi l’on parle), Geese c’est un peu la preuve par neuf que l’indie rock plus que jamais en berne n’a plus que l’ostentation pseudo expérimentale et chaotique pour se démarquer (cf. Black Midi et consorts) : pas complètement noisy mais suffisamment pour donner l’impression aux vingtenaires qu’ils découvrent le nouveau Captain Beefheart, vaguement dissonant et psyché mais dans le cadre de chansons assez bateau aux élans lyriques parfois dégoulinants (Husbands, Au Pays du Cocaine) et porté sur les beuglantes qui confondent montée de fièvre et crise de colère d’un gamin de 5 ans, Getting Killed malgré son titre donne moins envie de se tirer une balle que de faire une croix sur les musiques à guitare à plus de 1000 écoutes. En l’occurrence et une fois de plus, le groupe est moins fautif qu’une certaine presse musicale née de la dernière pluie, qui se fait le relai enflammé de ses élucubrations poussives aux breaks sans queue ni tête.



- Viagra Boys - Viagr Aboys (Shrimptech Enterprises, 25/04)

Alors cette arnaque scandinave, sincèrement on en a soupé. C’est tellement imbittable qu’on n’avait pas osé inclure le groupe dans nos shitlists de ces dernières années mais terminé l’impunité, le post-punk d’une manière générale est déjà suffisamment achalandé en ringardises génériques pour ne pas devoir en plus se fader ce genre de morgue braillarde déjà éculée dans les 00s, entre spoken word maniéré, rythmes binaires, borborygmes d’ado attardé et guitares flatulentes. Ils osent même terminer l’album sur une ballade de crooner jazzy pour faire sérieux, c’est dire le niveau de l’escroquerie, à côté de laquelle Amyl and the Sniffers donneraient presque envie de se remettre à sniffer de la colle.

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