Deux grands absents dans cet article, dont on n’a pas encore eu l’occasion d’écouter les nouveaux albums lâchés tout récemment : Sixtoo, assurément un revenant comme on les aime, et Jeru the Damaja. Côté Wu-Tang, plusieurs retours cette année n’ont pas porté leurs fruits autant qu’espéré, cf. Masta Killah, Raekwon et même le Supreme Clientele 2 de Ghostface, probablement le plus intéressant du lot - aucun des trois n’étant pour autant aussi dispensable que le dernier opus du crew. Petites pensées enfin pour l’ultime enregistrement semi-posthume de Mobb Deep, Infinite, étonnamment décent, et surtout pour Slick Rick qui s’est un peu foutu de notre gueule mais non sans talent avec son chouette gros EP Victory, présenté du haut de ses 27 minutes joliment anachroniques et un brin inégales comme son LP du comeback... et sans plus tarder place aux choses sérieuses avec six sorties d’un autre acabit, dont trois sommets au moins à ne surtout pas louper.
Aesop Rock - I Heard It’s A Mess There Too (Rhymesayers, 27/10)
Toujours confortablement campé chez Rhymesayers, l’ex tête de gondole du label Def Jux s’y permet la sortie d’un deuxième long format en 5 mois, troquant le trop-plein pas très audacieux et un brin épuisant du néanmoins tout à fait décent Black Hole Superette pour une concision plus acérée aux productions particulièrement épurées. Sans réinventer l’eau chaude, I Heard It’s A Mess There Too compte également davantage de coups d’éclat que son prédécesseur, du minimalisme anxiogène de The Cut au blues magnétique de Call Home en passant par les rondeurs et motifs insidieux des parfaits Opossum et Pay The Man, ou la vibe d’anticipation horrifique de l’accaparant Oh My Stars. Un grand cru !
Arrested Development - Adult Contemporary Hip Hop (Vagabond Productions, 3/07)
Pas évident de passer après l’immense Bullets In The Chamber, album de la résurrection sous l’impulsion du producteur britannique Configa (de nouveau présent ici) et même probablement le très large sommet de la discographie du groupe d’Atlanta. Toutefois, sans faire preuve de la même évidence mélodique et de la même inventivité, Adult Contemporary Hip Hop ne démérite pas, dans cette même veine "pop rap" ligne claire à la fois smooth et percutante qu’on leur connaît. Une généreuse collection de 20 titres qui culmine notamment sur les irrésistibles Let’s Get On With It et Live Forever en début de disque, le cartoonesque et syncopé Easy, l’épique et soulful Baby Yes, les virevoltants Original et Pack It Out, la vibe brésilienne de Goal Dysmorphia ou encore les deux itérations du stellaire single All I See Is Melanin.
Blueprint - Vessel (Autoproduction, 29/07)
Le MC de feu Soul Position (son duo avec RJD2 dont on ne parle jamais assez) déçoit rarement, cf. encore l’an passé l’étonnant autant qu’élégant Chamber Music II, entre rap rondelet et instrus aériens. Plus électrique, son successeur Vessel aurait pu voir le jour chez Rhymesayers (label qui hébergea quelques albums du rappeur de Columbus, Ohio, malheureusement pas ses meilleurs), tant il met à l’amende les Atmosphere sur leur propre terrain, celui d’un storytelling d’une fluidité désarmante dont les productions mélodiques et métissées font la part belle aux guitares, aux hooks de piano et aux sonorités cristallines des claviers et des percussions. Autant dire que dans un monde parfait, ce nouvel opus quelque peu ignoré des amateurs du genre et signé de l’un des derniers rappeurs/producteurs à taper ses beats sur des drum machines vintage, serait déjà un petit classique à l’ancienne !
Buck 65 - Keep Moving (Autoproduction, 28/04)
Le petit génie canadien nous gratifie depuis quelques années d’un retour en forme débordant de créativité, qui tutoyait les cimes en 2023 avec les sorties successives de Super Dope et Punk Rock B-Boy, marqués par une virtuosité plus old school, funky et percutante aux accents 70s, surtout en comparaison de l’abstract lo-fi des débuts ou des incursions folk et bluesy qui le firent connaître du public "rock" dans les 00s. Jamais deux sans trois : Keep Moving est un nouveau sommet aux vignettes encore plus versatiles et punchy, des morceaux très courts aux contrepieds constants qui pratiquent un sampling à l’ancienne, des scratches de haute volée et un groove assez imparable, comme autant de pièces d’un immense puzzle ludique et sans temps mort aux humeurs et au tempo changeants, entérinant le rapprochement des derniers travaux du bonhomme avec les télescopages du magicien Edan.
Kool Keith - Karpenters (Fat Beats, 18/04)
Pour cette 4e sortie produite par le Californien Grant Shapiro, qui fait suite à trois EPs inégaux dont l’un faisait d’emblée référence à John Carpenter synthés à l’appui, Kool Keith continue de privilégier la concision à l’ambition (Karpenters dure 30 minutes seulement) mais permet à l’ex Ultramagnetic MCs de renouer avec l’excellence d’une inspiration foisonnante, entre dystopies menaçantes, boom bap sec et minimaliste, groove millésimé et incursions funky - la palme au funeste et tendu Jim Kelly, conclusion idéale avec son sample orchestral anxiogène de la BO de "L’impasse" de Brian De Palma.
Ras Kass - FAFO EP (Autoproduction, 1/09)
Auteur avec son séminal premier long format Soul on Ice, en grande partie mis en musique par ses soins, d’un sommet pas assez célébré de proto-abstract, influent à n’en pas douter sur tout un pan du rap indé aux méditations futuristes (de Mike Ladd et Def Jux à Latyrx, Mush ou Anticon), celui dont la plume sociologique et engagée fut assurément l’une des plus belles des 90s n’a jamais cessé de sortir des disques à intervalles réguliers. En témoigne ce nouvel EP coproduit par un certain O.S.T.R., qui évoque sur une vingtaine de minutes un Los Angeles militarisé face à une invasion de léopards agressifs (si j’ai bien compris), sorte d’allégorie d’une Amérique plus que jamais dominée par ses élites capitalistes et répressives. En 6 titres sans compter intro et interlude, FAFO fait feu de tout bois, tantôt ténébreux (le morceau-titre), belliqueux (le final LIMB FROM LIMB, l’incursion trap WHO THE VICTIM), ou mélancolique et empreint de spiritualité (l’introspectif LOVE THY NEIGHBOR, les accents gospel de MAPOGO LIONS), samplant Richard Harris sur le percutant NASTY WORK pour célébrer le vrai hip-hop sans concession dans un océan de médiocrité commerciale.