Chroniqué récemment sur notre site, l’album The Old House de Comley Pond nous avait impressionnés par son ambiance, la qualité de ses compositions et son savoir-faire mélodique. Cette histoire de maison hantée racontée en 21 chapitres avait de quoi intriguer et faire naître de multiples interprétations. Poser quelques questions à Jean-Louis Magnet, chanteur, guitariste, compositeur et bien d’autres choses, devenait donc une priorité. Et pour notre plus grand plaisir, l’artiste pluridisciplinaire s’est prêté au jeu.




IRM : Bonjour Jean-Louis.

Jean-Louis Magnet : Bonjour, Ben.

Comley Pond vient de sortir son nouvel album intitulé The Old House. Dans le dossier de presse, vous présentez l’album comme "la visite d’une maison hantée". Commençons donc par une question un peu bateau : pourquoi avoir choisi de faire un album concept ?

Parce que nous aimons les albums avec une unité, une couleur, une atmosphère marquée mais je préfère parler d’un « album avec un fil conducteur ». Dans un album concept, il y a souvent un côté narratif, alors qu’ici il n’y a aucune narration, juste une succession de lieux qu’on pourrait explorer dans un tout autre ordre. En gros, ça serait la différence entre un roman sur une maison hantée et un jeu dans lequel, selon les dés ou une décision du joueur, l’aventure se produit. On peut revenir en arrière, rester plus longtemps dans une pièce ou sauter des étapes, voire reprendre dans le sens qu’on veut.


The Old House aborde entre autres le thème des revenants. Il se trouve qu’en 2014, tu exposais une installation intitulée « Les Spectres ». Est-ce que tu crois aux fantômes ?

Disons que c’est une question qui me hante… Blague à part, je suis quelqu’un d’assez rationnel. J’aime la fantaisie mais je suis très sélectif sur tout ce qui est fantastique. Je suis assez hérmétique à l’heroïc-fantasy par exemple : les films ou les séries avec des dragons ou des elfes, très peu pour moi. Par contre les fantômes m’ont toujours fasciné (et je ne suis pas le seul dans le groupe). Je ne sais plus qui disait : « Dans une société donnée à un moment donné, a fortiori si c’est une société avec une longue histoire, il y a toujours plus de morts que de vivants. » Nous vivons avec des fantômes, et pas seulement avec ceux de nos chers disparus. Les fantômes dans la littérature et le cinéma (japonais entre autres), m’ont toujours intéressé et puis quand j’ai découvert que le terme « fantôme » signifiait quelque chose en psychanalyse, ça a été une révélation : les fantômes existent pour de vrai, ils sont là et passent de génération en génération dans la famille. Tout ça a beaucoup nourri cet album.

Je ne savais pas ça. En préparant cette interview, tu m’as confié que les textes de l’album étaient un mix de flashs, de cauchemars et de sentiments très personnels. Dans quelle mesure ton expérience personnelle a-t-elle nourri la création de cet album ?

Il y a bien sûr des choses personnelles dans cet album mais la plupart des morceaux ont été écrits en ayant des films ou des livres en tête. Au départ, je voulais même le présenter comme un album « quelque part entre Robyn et Alfred Hitchcock »... L’architecture de l’album est assez complexe mais surtout pleine de pièges et de chausses-trappes : par exemple les textes emploient presque indifféremment la première et la deuxième personne, parfois dans le même texte, on ne sait donc jamais vraiment qui parle (des fantômes peut-être ?). Autre exemple : chaque pièce correspond aussi à un âge de la vie, mais comme on est dans l’inconscient et dans le fantastique, la chronologie est aléatoire et tout ça se mélange dans un certain flou. Le fait de situer cet album dans un cadre surnaturel nous a permis une grande liberté, même en ayant des choses assez précises en tête au départ.


Au premier abord, de par son artwork, son ambiance, c’est la dimension "horrifique" de l’album qui s’impose. Pourtant, une écoute attentive des paroles livre d’autres pistes de lecture. La première, particulièrement avec des morceaux comme The Monster Inside You ou Lumber Room, serait celle que, finalement, plus qu’un album sur les fantômes, The Old House serait un album sur les troubles mentaux…

C’est une interprétation à laquelle je n’avais pas du tout songé mais qui est intéressante, justement parce que je n’y avais pas pensé et que ça ouvre d’autres perspectives. Les troubles mentaux sont précisément considérés, dans beaucoup de civilisations, comme une manifestation des esprits des ancêtres qui veulent nous dire quelque chose (de négatif, en général) et nous habitent malgré nous. C’est donc très pertinent. Je pensais plus à des névroses qu’à des troubles mentaux mais il y a aussi d’autres grilles de lectures possibles (comme tu viens de le suggérer) et d’autres thématiques abordées dans l’album, certaines plus explicites que d’autres mais c’est bien quand ça reste un peu flou.

Il est aussi beaucoup question du passé dans cet album et de la manière dont celui-ci influe sur le présent. Cette vieille maison, remplie de peurs et de fantômes, n’est-ce pas finalement la métaphore de tout ce qui nous entrave, nous retient, nous empêche d’avancer (je pense par exemple au texte de Living) ?

Oui, c’est exactement ça et ça nous ramène à la question précédente : c’est un album dans lequel les névroses sont sans doute très présentes. Mais au final, dans mon esprit, cette plongée a pour but d’aboutir à une forme de résilience, ça apparaît dans des titres comme The Monster Inside You, par exemple.


En musique, j’ai quelques biais. Quand j’entends « winter is coming » sur le premier morceau, je pense forcément aux Stark. C’est une référence assumée ou une simple coïncidence ?

On me l’a déjà dit plusieurs fois mais non, c’est juste une coïncidence. Je suis amateur de séries mais celle-ci justement est vraiment trop heroïc-fantasy pour moi, j’ai abandonné au bout d’un épisode... Par contre, si quelqu’un a les images de la série en question en écoutant le morceau, ça n’est pas du tout un problème. Pour moi, c’est précisément le rôle d’une œuvre, que chacun puisse y projeter sa propre vision, sa propre culture et sa propre sensibilité. Les textes de The Old House sont complètement ouverts, libre à chacun d’y voir ce qu’il veut, même si je sais précisément ce que j’y ai mis.

Dans le même ordre d’idée, le mot "house" m’évoque indubitablement le morceau de Love, A House Is Not Motel. Forcément, avec le titre que vous avez donné à votre album, je me demande quelle serait ta définition de ce mot ("house") ? Parce que dans votre "vieille maison", il y a quelque chose d’effrayant... et pourtant on s’y sent bien.

Forever Changes est un classique que certains dans le groupe ont beaucoup écouté (et écoutent toujours). La fin brutale du morceau est particulièrement bizarre. J’aime bien ta remarque, elle est effrayante, cette maison, mais on n’a pas envie d’en partir, en effet. C’est amusant d’essayer de rendre inquiétant quelque chose qui est censé être rassurant, et intéressant de faire se côtoyer les deux.

Puisqu’on évoque Love, il y a un changement d’accord sur Living, juste avant le final, qui est très Bryan MacLean.

Bryan MacLean c’est le côté folk rock, dans Love, et j’ai profité de ta question pour réécouter Ifyoubelievein. La fin de Living a dû te rappeler celle de Old Man. Pour cette fois, on ne l’ a pas fait exprès… Sur Monday, 7P.M., le premier titre de notre EP Pool !, il y avait un gros clin d’œil à Nick Drake par contre. Être comparé à Bryan MacLean, c’est de toutes façons très flatteur. En plus, on était tous secrètement amoureux de sa demi-sœur, Maria (rires).

L’album est sorti au mois de mai, mais il est idéal pour accompagner une après-midi pluvieuse du mois d’octobre. C’est sans doute dû aux importantes influences anglaises de votre musique. Peux-tu nous en parler un peu ?

Nous sommes tous les trois nés entre 1967 et 1969. Si on s’en tient à la théorie un peu fumeuse qui veut qu’on soit marqué à vie par ce qu’on écoute à 14 ans, ça nous ramène au tout début des 80’s. (Ah, ces stickers « Rock of the 80’s » sur les 33T …). Une époque où les trucs intéressants venaient plutôt d’Outre-Manche. Et, en effet, on a tous été marqués par les premiers Cure, les albums des Stranglers, des Jam, de XTC, des Damned et globalement tout ce qu’on appelle aujourd’hui le post-punk. Ça se retrouve forcément dans ce qu’on joue. La boîte à rythmes, dans Comley Pond, est souvent basée sur des sons de Linn, le truc à la mode à l’époque (il faut réécouter les trucs de Captain Sensible avec Tony Mansfield, par exemple). Depuis, on a appris à apprécier des groupes comme E.L.O. qu’on n’écoutait pas trop à l’époque et toute la pop orchestrale de la fin des 60’s comme les Zombies. L’exception géographique, c’est le groupe Nits, qui viennent d’Amsterdam, et qui sont un peu nos modèles. Il y a aussi d’autres influences dans le groupe : Sébastien, le violoncelliste, a également beaucoup été inspiré par la musique allemande du 19ème et je pense que ça s’entend dans cet album et que ça contribue à lui donner une couleur particulière. L’Angleterre, l’Allemagne, les Pays-Bas, rien de tout ça n’est très ensoleillé, n’est-ce pas ? À titre personnel, je déteste la chaleur et je passe plus volontiers mes vacances à Glasgow qu’à Marbella ! (rires).


Je te comprends ! Le clip de When The Wind Blows est truffé de références aux "Hauts de Hurlevent", l’ambiance générale de l’album évoque Conan Doyle ou Mary Shelley. Quel est ton rapport à la littérature ?

Oui, quand j’ai écris le texte de When The Wind Blows j’avais clairement en tête ces œuvres et ces auteurs. Je suis un lecteur assez assidu mais plutôt de poésie, j’aime beaucoup tous ces auteurs et ouvrages mais pendant l’écriture des textes de l’album je lisais plutôt Sylvia Plath ou Yeats (pour rester en Grande-Bretagne).

Parlons un peu de toi. Tu as fait partie de plusieurs groupes (Strawberry Minds, Moss) qui ont connu un certain succès puis tu as arrêté la musique pendant presque dix-huit ans. Quelle a été la raison de cette interruption ?

« Petit succès d’estime » serait le mot juste. Nous avons sorti de nombreux EP et singles mais tous les groupes dont j’avais fait partie ont splitté avant d’arriver au stade de l’album, chose que je rêvais de faire depuis toujours et là, avec The Old House et ses 21 titres, je me suis vraiment régalé. Il y a plusieurs raisons conjointes à cette interruption : créer en groupe n’est pas toujours simple et travailler seul à ma peinture pendant 18 ans a été très positif. Je voulais aussi être tout simplement plus présent à la maison pour m’occuper de mes enfants, ce qui est amusant parce que je ne me serais sans doute jamais remis à la musique si ma fille Apolline (bassiste et chanteuse des groupes Plastic Age et Copycat - NDLR : duo qu’elle forme avec Zoé qui a fait les chœurs sur l’album - notamment) ne m’avait pas ramené dans cet univers-là.


On l’évoquait au début de cette interview, tu n’es pas seulement musicien, tu es aussi peintre et plasticien. Qu’est-ce que tu mets dans les arts visuels que tu ne mets pas dans la musique ?

Question compliquée que je me suis souvent posée sans avoir vraiment la réponse. En plus, comme j’ai reçu une formation de plasticien et que je suis musicien autodidacte, je n’ai pas la même façon d’aborder les deux domaines : plus théorique pour la peinture et plus instinctive pour la musique. Peut-être qu’en peinture je peux aborder certains thèmes qui me préoccupent et qui sont plus difficiles à exprimer en musique, comme l’invisible ou l’éphémère (dans mes installations par exemple). La musique, elle, permet sans doute d’exprimer certaines choses d’une manière plus directe, comme la colère par exemple, même si elle n’est pas forcément perceptible au premier abord chez Comley Pond.

Sur ton site, tu expliques que la fragmentation est un élément central de ton œuvre. Or The Old House contient pas moins de 21 morceaux dont la moitié de courts intermèdes musicaux. Faut-il y voir une nouvelle incarnation de cette thématique si importante pour toi ?

Sincèrement, je n’y ai pas du tout pensé de manière consciente en travaillant sur la structure de l’album (et même après), mais ça m’apparaît assez évident maintenant que tu le dis… Au final, il y a une certaine cohérence dans tout ce que je fais, j’ai bien fait d’accepter de répondre à cette interview !

Ravi d’avoir pu aider ! (rires) Merci pour ton temps.

Merci à toi !


Lire la chronique de The Old House
https://comleypond.bandcamp.com/
http://www.jl-magnet.com/
Crédit photo : hmwk

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