Nous revoilà avec un peu de retard pour la suite de cette sélection "radicaux libres". Comme pour la première partie, on y aborde une belle diversité de rivages sonores, dont l’unique point de ralliement est la fidélité à une vision personnelle audacieuse faisant fi de tout compromis. Avis aux amateurs d’univers singuliers et autres télescopages inclassables !




- Black Saturn - Children of the Noise (Autoproduction, 11/02)

La caution hip-hop de ce second volet, on la doit au très productif Black Saturn (cf. notre interview de janvier dernier), lequel s’avère cette année encore plus aventureux en solo qu’avec ses compères Innocent But Guilty, Bone Crate Beats ou Bruno Pronsato. Déluges électro-bruitistes, ambient abrasive, instrus breakbeat déstructurés, downtempo hanté, dub rétrofuturiste et spoken word sur fond de nappes dissonantes, d’interférences noisy ou de beats désossés, le MC de Washington fait feu de tout bois avec pour seuls mots d’ordre lo-fi et expérimentation tous azimuts, évoquant notamment - toutes proportions gardées, mais tout de même - les sorties les plus radicales des débuts de Buck 65 ou Mike Ladd.



- Bruno Bernard - City Diaries (Adventurous Music, 3/06)

Après l’EP Biome et son travail presque naturaliste de recontextualisation de field recordings en une sorte d’écosystème sonore imaginaire, c’est avec ce City Diaries que le Chalonnais Bruno Bernard, passé du label montréalais Musique Moléculaire au giron de l’écurie allemande Adventurous Music, donne véritablement suite à son superbe lisi​è​res de l’an dernier, poussant ici son dark ambient fantasmagorique et texturé dans des retranchements d’autant plus rêches et malaisants. Un bijou de sound design évocateur et ténébreux, dont les titres des morceaux manient justement à plus d’une reprise le champ lexical du crépuscule.



- Dromedaries x Alexoteric - The Burning Bright Light (Karlrecords, 24/01)

Une fois n’est pas coutume, c’est du free jazz que nous propose le label expérimental allemand Karlrecords avec cette rencontre entre le trio d’improv new-yorkais Dromedaries (soit Keir Neuringer, le saxophoniste d’Irreversible Entanglements également ici aux synthés et aux percus mystiques, la contrebassiste Shayna Dulberger et le batteur Julius Masri) et le romancier/vocaliste/activiste philadelphien Alex Smith aka Alexoteric. Au programme, 5 plus ou moins longs morceaux aux titres évocateurs navigant entre fièvre libertaire, tension fantasmagorique et ambient dissonante, et dont l’imaginaire dystopique bénéficie du spoken word habité de Smith, quelque part entre G.W. Sok (cf. le récent chef-d’oeuvre de Sopa Boba) et Mike Ladd.



- KHΛOMΛИ - IONOIZΛ (Autoproduction, 06/06)

Sans doute particulièrement inspiré par notre actualité anxiogène et chaotique, KHΛOMΛИ n’en finit plus de briller dans l’obscurité avec déjà 7 albums sous son nom, dont trois collaborations, depuis le début du mois de janvier. Avant-dernier en date, IONOIZΛ est également l’un des plus réussis, le Français déroulant sur environ 55 minutes le genre de bande-son d’apocalypse au sound design radical qu’on lui connaît sans pour autant faire de surplace, mentions spéciales aux pulsations sourdes et crépitantes, presque dark techno de l’introductif Ultima Lux, au futurisme vicié de Broken Earth ou encore au déferlement post-industriel sans concession du final L’Obscurité Par Le Feu, tirant dans ses dernières secondes sur un harsh noise de destruction massive.



- David Shea - An Eastern Western Collected Works (Room40, 18/04 - Réédition)

Assurément l’un des plus grands musiciens vivants, l’Américain David Shea avait mis la barre très haut l’an dernier avec The Ship, bande originale d’un jeu de réalité virtuelle que l’on ne pourrait imaginer plus éloignée des clichés de la musique de jeu vidéo. Quelques mois plus tard, on retrouve l’Australien d’adoption, toujours chez Room40, avec la réédition d’un disque initialement paru chez Sub Rosa en 99, en attendant trois nouveaux projets annoncés pour ces prochains mois. À l’en croire, An Eastern Western Collected Works en posait quelque part les bases il y a un gros quart de siècle, parfaite occasion pour se pencher tardivement sur cet album séminal à l’inspiration multiculturelle mêlant musique contemporaine tout en tension déstructurée, soundscapes mystiques (le musicien ayant maintes fois frayé avec le folklore bouddhiste), chants de gorge aborigènes, jazz ambient et piano dissonant, qui se clôt sur 16 minutes d’hommage onirique au grand Mario Bava - même si en l’occurrence on penserait plutôt par moments aux BOs 80s d’Argento.



- Wahn - Drifted Vol. 3 (Adventurous Music, 2/06)

On parlait plus haut d’Adventurous Music, c’est sur un autre transfuge de l’un de nos labels chouchous - Mahorka cette fois - fraîchement débarqué sur cette structure basée à Leipzig que l’on termine notre série. Faisant suite à deux petits chefs-d’oeuvre d’electronica aux accents modern classical ou électro-acoustiques, ce troisième volet des Drifted confirme s’il était besoin le talent du Rennais Erwan Charier pour nous immerger dans ses compostions métamorphes, atmosphériques et contrastées où tension des pulsations rythmiques, délicatesse impressionniste du piano et onirisme clair-obscur des textures font particulièrement bon ménage. Prenant !

Beautiful Gas Mask In A Phone