le mercredi 11 juin 2025
Mercredi 11 juin, entre le début des grosses chaleurs et Kim Deal venue défendre au branchouillard Trianon son joli premier album solo qui au-delà d’un excellent morceau-titre orchestré ne restera pas pour autant dans les annales de la pop (si ce n’est peut-être pour les indécrottables nostalgiques de la grande époque des Breeeders), il n’y avait pas grand monde à la Dynamo de Pantin, et pourtant c’est évidemment là qu’il fallait être, popeux compris. À croire que pas grand monde non plus, sous nos horizons du moins, n’avait posé l’oreille en 2022 sur les instantanés mélodiques du superbe Mouth Full of Glass de la Chicagoanne Macie Stewart, venue défendre dans la salle jazz du festival Banlieues Bleues son deuxième opus When the Distance is Blue, bifurcations modern classical aux compositions exigeantes.
Avant de découvrir dans quelle configuration va se produire la musicienne, la quarantaine de spectateurs curieux voit entrer sur scène sa fidèle violoncelliste Lia Kohl, accompagnée au violon de Whitney Johnson, également croisée sur le susnommé When the Distance is Blue. Maniant toutes deux cordes et synthés, les musiciennes originaires elles aussi de Chicago et dont l’album For Translucence vient de sortir en mars chez Drag City vont ainsi interpréter pendant environ 35 minutes, dans une pénombre tout juste percée par une poignée de spots lumineux, les compositions élégiaques de cette première collaboration, accompagnant de drones caverneux leurs harmonies de cordes frottées passant de la dissonance au romantisme entre deux motifs pincés tout aussi hypnotiques. Un très beau set d’atmosphère, quelque peu malmené à certains moments par les crépitements d’une enceinte au plafond en réaction à leurs nappes de basses fréquences mais dont le magnétisme reprendra le dessus pour une dernière partie capiteuse à souhait.
Après un break légèrement trop long à mon goût qui m’obligera à changer de plan de transport pour rentrer dans ma banlieue du sud-est parisien et durant lequel Macie Stewart, en plus du piano à queue déjà présent à gauche de la scène, installera guitare électrique, micro et violon (laissant augurer la présence dans la setlist de chansons de son premier album), l’Américaine vient s’assoir derrière le clavier, accompagnée de ses deux comparses dont les instruments étaient restés en place. Piano néoclassique préparé/électroniquement modifié - qui n’en mettra que mieux en valeur la clarté des accords majeurs dans les moments d’intensité - et harmonies de cordes entêtantes s’entremêlent d’emblée sur I Forget How To Remember My Dreams, titre introductif du nouvel opus, alors que les images impressionnistes se mettent à défiler sur l’écran au fond de la salle.
Toutefois, le trio passera rapidement en mode chamber pop pour le merveilleux Finally extrait de Mouth Full of Glass , qui outre ses circonvolutions mélodiques enchanteresses quelque part entre Inara Georges (qu’évoquera également le tout aussi désarmant What Will I Do) et Sondre Lerche nous permet d’admirer la virtosité de l’Américaine à la guitare, tout en cascades d’arpèges effleurés du bout des doigts - et accessoirement, la scène étant désormais mieux éclairée, son fascinant pantalon affublé de "fenêtres" aux tibias qui me fera penser à une paire de combinaisons Hazmat pour genoux.
D’autre titres du disque suivront, indie-folk pour certains (Garter Snake, dépouillé de ses cuivres et synthés), plus électriques pour d’autres (Maya, Please, là aussi moins onirique et arrangé que sur album), un nouveau morceau convoquant même l’ambient à guitare taillée pour les étendues désertiques d’Amérique du Nord de l’excellente Noveller (aperçue depuis en instrumentiste pour Iggy Pop), le chant en sus. Après cet intermède indie qui suffirait à faire de Macie Stewart, dans un monde parfait, l’un de ces trop rares passeurs entres pop et musiques expérimentales dont firent partie David Sylvian, Björk ou Bowie notamment, celle que l’on comparait au regretté Sakamoto ou encore à la célébrée Hildur Guðnadóttir dans notre récente chronique repassera au piano et au violon pour autant de petits bijoux hantés par des harmonies vocales susurrées par l’une ou plusieurs des trois musiciennes - à l’image de l’épuré Stairwell (Before and After) - et entrecoupés comme sur disque de field recordings évocateurs.
Des compositions contemporaines semi-improvisées aussi enivrantes qu’aventureuses, relativement austères mais jamais absconses, qui en termineront sur un rappel au violon solo plus déstructuré mais toujours aussi magnétique (une version alternative de Disintegration, qui clôt le disque ?... j’avoue ne pas en être certain).
Pour résumer, un généreux set d’une heure qui aura amplement justifié mon tardif retour au bercail et fait regretter, une fois de plus, le peu de soutien médiatique (et de curiosité) dont continuent de faire l’objet ces musiques inclassables aux confins de l’ambient, du modern classical et de l’électronique, dont peu de genres pourtant égalent aujourd’hui la créativité - bravo donc en passant au label jazz moderne de Chicago International Anthem pour avoir sorti cet album somme toute assez éloigné de ses passions premières, aussi éclectiques soient-elles.