L’écurie québécoise, dont on vous disait le plus grand bien ici ou, déjà, plus de 8 ans en arrière, à l’époque du merveilleux Ichiru signé par le pianiste japonais Daigo Hanada, est devenue en l’espace de quelques années un incontournable du modern classical, grâce à la cohérence d’une ligne éditoriale à l’équilibre entre finesse et émotion, sans excès de pathos ou de lyrisme. À l’exception notable du Grec Hior Chronik et de son remarquable Apofanie chroniqué cet été, ou du chouette Solar Nights de Juha Mäki-Patola, le cru 2025 de la structure montréalaise privilégie nettement le piano au classical ambient mâtiné d’électronique ou de synthés, et en particulier au format EPs, d’où la teneur de cette sélection aussi attachante que vite explorée qui fait par ailleurs la part belle aux artistes émergents. Et que cela, évidemment, ne vous empêche surtout pas d’aller écouter le dernier EP du Belge Jozef De Schutter sur lequel nous nous étions déjà étendus, toujours la plus belle sortie du label cette année.
Jelena Ćirić, Snorri Hallgrímsson, Cécile Lacharme & Oliver Patrice Weder - Tramuntana Tapes I (22/04)
La caution "pop" de cette sélection associe l’excellent Oliver Patrick Weder (dont l’univers entre jazz, modern classical et electronica brillait l’an dernier sur The Shoe Factory) à deux autres pianistes (dont Jelena Ćirić, également la principale intervenante au chant) et à la violoncelliste Cécile Lacharme. Évanescent et texturé, ce gros EP de près d’une demi-heure aurait pu voir sa belle dimension impressionniste déjouée par les vocalises suaves légèrement en surplomb de Ćirić, or la magie prend complètement grâce à une interprétation toute en retenue, qui n’est pas sans évoquer les premiers albums vocaux d’un Peter Broderick, surtout lorsque Snorri Hallgrímsson prend le micro avec encore plus de délicatesse sur un Passing By aux pulsations ouatées proches de l’ambient-techno.
Melissa Galosi - Quiet Path (4/04)
La pianiste italienne, révélée sur album par Moderna l’an passé, persiste dans l’artwork naturaliste (et même encore plus épuré ici, sans signature ni titre) autant que dans l’humilité d’un piano solo dont l’enregistrement laisse entendre les sons des touches de l’instrument et les bruits ambiants, au plus près de l’intimité de l’interprète. Au programme, 5 compositions en mineur tout en simplicité et en évidence mélodique (en particulier le superbe Anchor en ouverture), dont la douce introspection mêle le plus naturellement du monde chaleur, espoir et mélancolie.
Hideyuki Hashimoto - Sign (26/09)
Moderna est décidemment très prisé des artistes néoclassiques asiatiques, en témoigne la présence plus bas de la Coréenne Suwon Yim mais aussi le nouveau format court de ce pianiste japonais arrivé sur le label en 2023 avec l’EP Under, après une série de sorties sur sa propre structure nlart. Six titres concis et d’une simplicité faussement candide captés dans l’intimité de son home studio, bruits d’enregistrement à l’appui là aussi, au gré desquels Hashimoto distille avec subtilité quelques dissonances qui en malmènent discrètement la joliesse caressante et empathique, notamment sur Rise et Sign, comme s’il s’agissait de la conséquence d’un piano légèrement désaccordé, reflet d’une certaine fragilité sous-jacente.
Adrien de la Salle - A Quiet Tribute (20/06)
Jeune pianiste français basé à Montréal, Adrien de la Salle rend hommage ici à 5 compositeurs dont les oeuvres furent probablement formatrices pour lui, avec respect mais sans excès de révérence. Ainsi, le Lacrimosa de Mozart trouve-t-il une douceur inattendue par-delà sa crépusculaire affliction dans cette interprétation au piano et à la clarinette, tandis que des reverbs discrètement vertigineuses envoient Schubert et Chopin dans les limbes. Quant à sa relecture de la Pavane de Fauré, d’une jolie virtuosité baroque sans avoir d’y toucher, elle saute quelques notes et fait fi des orchestrations pour mieux aller à l’essentiel.
Øystein Skar - Stories for A (7/11)
Instrumentiste pour Cakewalk ou Jessica Sligter sur l’excellent label jazz scandinave Hubro, Øystein Skar nous avait déjà gratifiés de l’une des plus fameuses sorties de l’année chez Moderna, un Hem aux vibrantes incursions dans l’ambient, la musique répétitive au vibraphone et autre kosmische musik aux arpeggiators aériens. Ici, le Norvégien se recentre sur le piano avec des mélodies d’une clarté désarmante aux textures chaleureuses (Flow, Veil), relevées par quelques field recordings (cf. l’ambiance pluvieuse de Norr) et nappes oniriques (Amsterdam). De toute beauté !
Suwon Yim - Find Me Somewhere (1/08)
Venue du jazz, la pianiste originaire de Seoul, dont la chaîne Youtube regorge de vidéos live en solo ou en collaboration, a sorti cet été un charmant disque à quatre mains via sa page Bandcamp, déjà bien achalandée. Quelques semaines plus tôt, c’est chez Moderna qu’on la retrouvait avec ce 8-titres dont l’humilité touche au coeur, là encore totalement à nu dans son enregistrement et alternant ritournelles insouciantes (Picnic, Just Like Yesterday) et spleen introspectif (Far from Me, Quad, You Are So Careless) comme d’autres couchent dans les pages d’un journal intime leurs grandes peines et leurs petites joies (ou vice et versa).